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Christianisme : "Le Dieu de Georges Bush", interview de
Sébastien Fath
NDLR: L'interview ci-dessous est extraite du journal "Vivre",
n°3. Ce journal émane de la Fédération des Églises
évangéliques libres de Suisse (FEEL) et de lUnion
des Assemblées et Églises évangéliques en
Suisse romande (AESR). Il paraît dix fois par an. Comité
de rédaction : Serge Carrel (rédacteur responsable), La
Fermette, 1175 Lavigny, tél.+fax 021 / 807 1686, e-mail: serge.carrel@span.ch.
La paix au Moyen-Orient précarisée davantage encore...
Lémergence dune logique de conflit qui pourrait se
cristalliser autour de paramètres religieux... Nombre de chrétiens
et de missionnaires en danger dans les pays arabes... Tout cela après
deux ans de présence à la Maison-Blanche dun homme
que lon dépeint comme un «évangélique».
«Vivre» a voulu en savoir plus sur le Dieu de George W. Bush.
Sur ce Dieu qui est invoqué comme source de bénédictions
pour les activités va-t-en guerre du président américain
et pour lAmérique elle-même. Sébastien Fath,
sociologue au CNRS en France, nous propose son analyse et bien
entendu ! son point de vue.
Quel est larrière-plan chrétien de George W. Bush
?
Sébastien Fath Il est né dans une famille protestante.
Son père est épiscopalien, un anglican à la mode
américaine, sa mère est presbytérienne. Il commence
par fréquenter lEglise presbytérienne. Il grandit
et séloigne de ses références chrétiennes.
Il se lance dans les affaires, puis connaît une période dalcoolisme
assez grave. En 1985 à la résidence familiale des Bush,
il rencontre lévangéliste Billy Graham. Il fait alors
une expérience spirituelle dont il va régulièrement
parler par la suite. Pour lui, il ne sagit pas dune nouvelle
naissance, mais dune nouvelle consécration. Il réoriente
son existence, abandonne lalcool et mène une vie beaucoup
plus engagée, marquée par la lecture de la Bible. Dans une
interview à «US News and World Report», George W. Bush
précise quil essaie chaque année de lire la Bible
en entier, en suivant un programme de lecture.
Surprenant tout de même le fait que George W. Bush renoue avec
la foi au travers dune des grandes personnalités du protestantisme
américain : Billy Graham ?
Ce nest pas du tout un hasard ! Billy Graham, pasteur et évangéliste
de confession baptiste, a connu de près tous les présidents
américains, depuis Eisenhower. De plus, cest un ami personnel
de la famille Bush. Cest pour cela quen 1985 leurs routes
se sont croisées et que, depuis, les deux hommes sont restés
en relation. George W. Bush téléphone régulièrement
à Graham pour prendre des nouvelles de sa santé, pour lui
demander éventuellement des conseils spirituels. On ne peut pas
dire que les deux hommes soient très proches, mais ils ont des
relations régulières. Cependant, Bush a souvent déclaré
quil navait quun seul conseiller spirituel exclusif
: la Bible. De plus, on ne saurait résumer lentourage religieux
du président américain à telle ou telle figure que
ce soit Billy Graham ou Richard Land, le responsable de la Commission
déthique de la Convention baptiste du sud. Bush est entouré
de différents conseillers, de personnes originaires de différents
milieux religieux, des milieux évangéliques, mais aussi
des milieux protestants dits «mainline» (presbytériens
et épiscopaliens notamment). Il est également entouré
de conseillers issus de milieux juifs ou laïcs. On ne saurait donc
réduire les influences que subit le président Bush aux seules
orientations évangéliques.
Dans les médias, on donne limpression que la Maison-Blanche
na jamais été aussi engagée dans la foi chrétienne
quactuellement. Que pensez-vous dune telle affirmation ?
Il faut relativiser ce type de perspective. Rappelons que lensemble
des présidents américains, tout au long du XXe siècle,
ont été filmés ou photographiés en train de
prier. La foi joue toujours un rôle politique aux Etats-Unis. Même
sil y a séparation des Eglises et de lEtat, il ny
a pas séparation du religieux et du politique. La mise en scène
dun certain engagement de foi, y compris sur le terrain politique
ou diplomatique, nest pas si nouvelle que cela. Dans les années
70, Jimmy Carter se présentait aussi comme un «born again
christian», comme un chrétien évangélique.
Il mettait déjà très fortement en avant sa foi et
ses convictions évangéliques.
En même temps, les signes que pose George W. Bush sont forts. Il
proclame urbi et orbi quil commence ses journées par la prière.
Chaque jour, il inaugure les séances de travail à la Maison-Blanche
par la prière...
Effectivement... En tant quEuropéens, nous avons dénormes
difficultés à envisager un tel fonctionnement. Nous vivons
dans des sociétés sécularisées et ces pratiques
américaines nous semblent très exotiques. Ensuite, George
W. Bush insiste volontairement sur cette image de président engagé
dans la foi. Pour diverses raisons. Afin dabord de légitimer
son pouvoir politique, toujours fragile au vu des controverses qua
suscitées son élection. Pour des raisons dargumentation
ensuite. La guerre contre lIrak nest pas très facile
à légitimer. Lorsque vous avancez largument de Dieu,
tout le monde se tait. Si Dieu est avec vous, plus de débat possible.
George W. Bush joue sur cette dimension religieuse. Cela ne signifie pas
nécessairement que, dans les faits, son engagement chrétien
soit plus important que celui dautres présidents.
A votre sens, George W. Bush est-il quelquun de très pratiquant
?
Il nest pas facile de répondre à cette question. Une
chose est sûre, George W. Bush ne fréquente pas régulièrement
les Eglises. Il est moins engagé de ce point de vue que Jimmy Carter.
A mon sens, il est largement coupé de son milieu ecclésial,
lEglise méthodiste unie, qui a montré son hostilité
au conflit en Irak.
Ce qui surprend lorsquon examine les propos religieux dans les
discours de George W. Bush, cest quil ne mentionne quasiment
jamais le nom de Jésus. Comment interpréter cela ?
Dans ses discours, George W. Bush se positionne dans la perspective de
la religion civile américaine... Evoquer le nom de Jésus
publiquement, ce serait signifier que la religion du président
et donc de lAmérique, cest dabord le christianisme.
Ce quil ne peut se permettre de faire. Le paysage religieux américain
aujourdhui est très pluriel. Il y a un islam très
militant, un judaïsme actif, un bouddhisme en croissance, des mormons...
George W. Bush ne peut donc pas se permettre dévoquer le
nom de Jésus publiquement, sous peine de rompre un consensus tacite
qui veut que le président américain puisse certes se prévaloir
dune foi et cest même plutôt recommandé...
mais certainement pas dune foi trop particularisée.
Quels sont les traits fondamentaux de cette religion civile ?
On peut schématiquement en distinguer cinq. Tout dabord,
la culture wasp («White Anglo-saxon and Protestant»). La religion
civile américaine reprend lhéritage des Pères
pèlerins, de ces pères fondateurs qui, au XVIIe siècle,
ont fui lEurope alors quils étaient persécutés
pour des raisons religieuses et ont construit lidéal américain.
Le deuxième trait de cette religion civile, cest lindividualisme.
Aux Etats-Unis, lindividu est une valeur suprême. On ne peut
ni sauver une société, ni sauver une situation si on ne
commence pas par sauver lindividu. La troisième caractéristique
de cette religion civile, cest laccent mis sur la foi et la
prière. On rejoint là lun des thèmes centraux
du «Prince dEgypte», un film américain sorti
sur les écrans en 1998. Une des chansons phares de ce film disait
: «When you believe» «Quand tu crois»... Alors
tout devient possible, pensent les Américains. Peu importe le contenu
de la foi, limportant cest de croire et de prier.
Quel est le quatrième élément de cette religion
civile américaine ?
Cest le messianisme ou luniversalisme providentiel. Là,
on rejoint les mythes fondateurs de la société américaine.
Lidée que lAmérique, cest le nouvel Israël,
cest le nouveau peuple élu. Cette idée est très
ancienne. Elle remonte au puritanisme du XVIIe siècle et à
un fameux discours de John Winthrop en 1630. Il compare lAmérique
à une cité sur la colline, appelée à éclairer
le monde au travers de ses propres valeurs. Le dernier élément
de cette religion civile sarticule à ce messianisme, cest
loptimisme. Le slogan : «Just do it» («Vas-y,
fais-le !») et ça marchera, retrace bien cette attitude à
lendroit de la vie. Il suffit dagir pour vaincre. On retrouve
cela dans lattitude de George W. Bush à la suite du 11 septembre.
LAmérique ne peut pas camper sur un échec. Elle doit
forcément triompher. Elle doit forcément vaincre... et,
dune certaine manière, ce souci de revanche sest cristallisé
sur la figure de Saddam Hussein.
Votre analyse vous pousse à dire que ces dernières années
cette religion civile se laïcise de plus en plus...
Effectivement! Traditionnellement le messianisme chrétien met en
avant la figure de Jésus-Christ qui revient dans lhistoire
humaine de manière spectaculaire pour instaurer le millénium.
A mon sens, le messianisme que véhicule George W. Bush est dune
autre nature. Pour éclairer ce propos, jaimerais recourir
à lhistoire du cinéma. En 1953 sort le film «La
Guerre des mondes» et, 43 ans plus tard, en 1996, «Independance
Day». Ces deux films relatent lhistoire dune invasion
dextra-terrestres, de la riposte des terriens, en particulier des
Américains, qui mettent au point des armes spécifiques pour
vaincre lenvahisseur. Dans «La Guerre des mondes», cette
tentative échoue. La population se tourne alors vers Dieu, prie
et demande la délivrance. Finalement, Dieu envoie une bactérie
qui va décimer les envahisseurs et le salut du monde est préservé.
Morale du film : tout ce que lhomme a entrepris a failli, Dieu seul
sauve. Là, nous nous situons classiquement dans une perspective
de millénarisme chrétien où Dieu intervient dans
lhistoire pour sauver lhumanité...
Avec «Independance Day», le propos est très différent...
Effectivement. Lhistoire est quasi identique. Il y a aussi dans
ce film un recours à la prière, même si cette dimension
est peu montrée ! En fait ce qui est mis en valeur, cest
la technologie américaine hyper-sophistiquée qui, à
elle seule, parvient à vaincre les extra-terrestres. On le sent
bien, la morale est tout à fait différente de celle de «La
Guerre des mondes». On pourrait la résumer en disant : «In
Gun We Trust» («Nous nous confions dans nos armes»).
Cest la technologie militaire américaine qui apporte le salut.
A la figure de Jésus-Christ, Sauveur de lhumanité,
se substitue la figure dune Amérique triomphatrice qui, par
ses vertus, par son modèle de société, par sa technologie,
instaure le Royaume de Dieu sur terre. A mon sens, quand on observe ladministration
Bush aujourdhui, lhypothèse quelle véhicule
un néo-messianisme largement sécularisé est tout
à fait intéressante. Donald Rumsfeld, par exemple, lun
des principaux va-t-en guerre qui entourent le président, nest
pas quelquun de religieux. Toutefois il est porté par une
vision messianique de lAmérique. Le dieu ou plutôt
la déesse pour laquelle Bush et son administration partent en guerre
aujourdhui, cest avant tout lAmérique !
Avez-vous limpression que George W. Bush nest pas conscient
de ce glissement dun messianisme dinspiration chrétienne
vers un messianisme laïc ?
Difficile de dire si Bush est conscient de cela. En tout cas, une chose
est sûre : il reçoit de nombreux
signaux de la part des Eglises qui lavertissent de ce glissement.
Pour ces dernières, la mise en avant de lAmérique
comme pays libérateur, comme pays qui apporte la liberté
et la paix dans le monde, «cest de lidolâtrie»
! LEglise méthodiste unie, lEglise dont sont membres
tant George W. Bush que Dick Cheney, développe aussi un tel discours.
Elle affirme très clairement quidentifier lAmérique
à une sorte de sauveur de lhumanité, cest idolâtre.
Propos recueillis par Serge Carrel
Bio express
Sébastien Fath est sociologue au Centre national de la recherche
scientifique en France. Il travaille dans le cadre du groupe de sociologie
des religions et de la laïcité. Sébastien Fath a publié
lan dernier «Billy Graham, pape protestant ?» (Albin
Michel, 2002, 300 p.). Auparavant, sa thèse de doctorat a porté
sur les baptistes français. Ce travail a été publié
sous le titre : «Une autre manière dêtre chrétien
en France. Socio-histoire de limplantation baptiste (1810-1950)»
(Labor et Fides, 2001, 1222 p.). Sébastien Fath et sa famille fréquentent
lEglise évangélique baptiste de Chauny, en Picardie.
(Vivre) ajouté le
03-5-2003
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