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> Etats-Unis: Comment la religion influence le Président ?

Bill Keller, lundi 19 mai 2003

Le président Bush est-il un zélote ou bien fait-il semblant de l’être pour émouvoir la foule ? Telle est la question la plus pertinente que j’entends sur Bush lors de mes voyages. Elle se pose aussi dans les milieux « moins évangéliques » de l’Amérique (dans les universités, sur les sites des opposants de Bush, à Hollywood, Manhattan...) Sur les sujets allant de Saddam à la sodomie, on assume généralement que Bush est un évangéliste oeuvrant pour un programme moralisateur en raison de son état de chrétien né de nouveau. Les plus cyniques diront que, peu importe sa croyance, il a remis le portefeuille du président à ses potes prédicateurs de la droite chrétienne en échange des votes qu’ils lui apportent. Je comprends l’agacement des critiques au sujet de la piété publique de G.W. Bush. A l’étranger, elle contribue à l’image d’une arrogance du Croisé. A l’intérieur, elle provoque la crainte d’une invasion moraliste. Récemment, le président a donné l’occasion aux sceptiques de se poser des questions, lorsqu’il semblait ne pas vouloir offenser le sénateur Rick Santorum, un théocrate catholique qui voulait que l’état ait le droit d’arrêter les amants homosexuels dans leur lit ou encore punir les couples se servant de moyens contraceptifs. J’ai interrogé des personnes qui ont sérieusement réfléchi sur la religion, y compris celles qui ont connu Bush, et je suis parvenu à la conviction suivante : il est absolument faux de croire que la Maison Blanche est dirigée par les chrétiens fondamentalistes. Les critiques de Bush ont raison d’affirmer que la religion est à la fois une force qui anime sa présidence et un capital électoral majeur, mais il existe une nuance qu’il faut ajouter à cette affirmation. Depuis longtemps j’étais sceptique de l’idée que, pour Bush, Dieu se résumait à une procédure à suivre en 12 étapes. A l’âge de 40 ans, Bush a triompé de son problème d’alcool grâce à une expérience religieuse. Ceci fut renforcé par une étude biblique avec ses amis. Cette "épiphanie » des chrétiens nés de nouveau est un phénomène courant aux Etats-Unis. Une version de psychothérapie. Cela crée une sorte de foi qui n’a plus peur du doute, car le croyant sait qu’il s’en est mieux sorti avec sa foi que sans. Il y a plusieurs façons possibles pour décrire la foi de Bush. De par son affililiation dénominationnelle, il est méthodiste. En termes théologiques, il serait plutôt piétiste, en ce sens que sa religion est davantage affaire du cœur que de l’intellect. Un coreligionnaire décrit le cercle d’études bibliques de Bush comme « l’évangélisme de petit groupe ». Quelle qu’en soit l’étiquette, la foi de Bush entraîne une relation directe entre le croyant et son Dieu. Elle n’a pas de pape, ni aucune autre figure qui fait autorité. La religion de Bush n’a pas de catéchisme précis, si ce n’est la bible elle-même. Et parmi les chrétiens nés de nouveau ce livre peut être regardé comme tout, de la poésie inspirée au code de vie à suivre littéralement. Bush n’a pourtant pas montré de signes qu’il l’applique littéralement. Selon les gens qui ont travaillé avec lui ou qui ont fréquenté le milieu évangélique, sa foi est hautement subjective. Elle l’enjoint de faire le bon choix mais ne lui dit pas quel choix est justement le bon. C’est une foi sans un programme électoral. Alors, comment la religion vient-elle à influencer la présidence ? Gregg Easterbrook, un libéral qui a beaucoup écrit sur la quête du sens moderne soupçonne que, pour commencer, Bush est tout simplement plus à l’aise avec les croyants qu’avec les non-croyants. Ceci pourrait expliquer l’atmosphère dans la Maison Blanche où, d’après l’ancien rédacteur de ses discours, la participation aux études bibliques n’était pas obligatoire mais pas complètement superflue. Ce n’est pas un confort de sectaire non plus. Bush a déclaré qu’il s’est lié avec Vladimir Poutine à propos du crucifix que ce dernier avait reçu de sa mère. Selon Deborah Sontag du New York Times, Bush a surpris le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, un musulman pratiquant, en déclarant : « Vous croyez au Tout-Puissant et moi aussi. C’est pour cela que nous serons d’excellents partenaires ». Ce n’est pas complètement absurde non plus de remarquer que Tony Blair, aux dires d’un columniste, est le premier ministre le plus croyant de la Grande Bretagne depuis Gladstone, tandis que Jacques Chirac et Gerhard Schroeder sont des laïcs zélés. Schroeder est le premier Chancelier à refuser de terminer son discours inaugural par le traditionnel « que Dieu me vienne en aide ». Easterbrook déclare : « Je soupçonne que Bush adopte le point de vue qu’en finale, il existe deux types d’humanité. Un qui croit en quelque chose au-dessus de l’homme et l’autre qui explique tout en termes d’interactions bio-chimiques ». Alors, Dieu serait-il une sorte de connivence, une poignée de mains entre initiés ? En tout cas il fournit une source inépuisable de rhétorique. Les invocations fréquentes au Très-Haut irrite les oreilles des profanes Européens. Quand le Président dit « Que Dieu bénisse l’Amérique », ils doivent penser à une suite de style « Et que les autres aillent en enfer ». Pourtant, c’est une tradition en Amérique, où nos origines de dissidents, la constitution et l’esprit de libre entreprise ont forgé la population la plus diversement religieuse de la planète. Bush est encore loin derrière les vocables de Lincoln ou Roosevelt. Il est d’ailleurs le premier président d’étendre ses hommages habituellement réservés aux « églises et synagogues » aux « mosquées ». Ce changement s’est produit avant le 11/9 et c’est tant mieux. Même si à l’origine, il était vivement motivé par la prise de conscience que l’électorat musulman américain était encore largement sous-exploité.

Comment la foi de Bush influence sa politique est une question difficile. Les gens familiers avec lui vous diront que sa religion vous apprend plus sur la façon dont il prend certaines décisions que sur les résultats de ces décisions. Un conseiller qui ne partage pas sa foi dit : « quand vous considérez que quelque chose appartient au domaine moral, vous avez un désir instinctif d’agir dans ce domaine selon votre conscience ». Mais même les gens proches de Bush ne savent pas toujours distinguer quand il agit selon sa conscience et quand il agit selon un pur calcul politique, chose que la Maison Blanche a développée en Haute Science. Son soutien pour les œuvres sociales confessionnelles semble réellement basé sur sa conviction, appuyé par son expérience personnelle que la religion peut apporter quelque chose de plus, dans un problème comme la dépendance à la drogue. Si cette politique lui fait gagner en plus des voix religieuses et s’accorde avec le choix républicain de ne pas trop dépenser sur les programmes sociaux, tant mieux. Sur beaucoup de questions moralement sensibles, il a jusqu’à présent évité des batailles frontales. Il a approuvé une loi contre l’interruption de grossesse après un certain délai, mais n’a manifesté aucune intention de suivre Roe van Wade, qui serait extrêmement impopulaire. Il ne s’est pas prononcé sur les pratiques sexuelles en privé parce qu’aucune situation ne l’y a contraint. Probablement l’effect le plus important de la religion de Bush, c’est qu’elle lui donne une profonde confiance en lui-même une fois qu’il s’est décidé pour un cours d’action. L’exemple le plus visible est la façon dont il a exprimé sa « mission » de rendre le monde plus sûr pour la démocratie après les attaques du 11/9. Certains trouveraient cela présomptueux, messianique voire blasphématoire. John Green, spécialiste de la religion en politique de l’Université de Akron, considère cette attitude normale pour un homme religieux à qui l’histoire présente une lourde tâche. Il ajoute : « Que Bush conclut que tout cela soit dans le plan de Dieu, c’est la même chose qu’un homme ordinaire considère que Dieu veut qu’il donne aux Restos du Cœur. » Quand aux rumeurs que Bush reçoive ses instructions des organisations chrétiennes de droite, elles font fausse route. En tant que structure politique indépendante, la Droite Chrétienne est moribonde. Le militantisme des années 80 est loin derrière nous. La « Moral Majority » n’est plus. La « Christian Coalition » vacille. Les meneurs d’opinion comme Jerry Falwell ou Pat Robertson, en vieillissant, se sont réduits aux rôles de comiques. Leur tentative de transformer la guerre contre la terreur en une guerre de religion ou encore leurs déclarations intempestives (Pat Robertson qualifie Mohammed de « fanatique » et Franklin Graham décrit l’islam comme un mal) fournissent à Bush une occasion de jouer le rôle de l’arbitre œcuménique en les remettant à leur place. En même temps, note Green qui a longtemps étudié la Droite Chrétienne, nombre d’activistes locaux ont gravi les échelons dans le Parti Républicain. Autrefois, ils étaient une force indépendante qui essayaient d’influencer le président et le congrès à force de clameurs, maintenant qu’ils sont promus consultants de campagne ou même élus, ils font partie intégrante de l’institution. Certes, ils doivent rester modérés, en équilibre avec d’autres forces vives du parti, comme le monde des affaires par exemple. Aussi doivent-ils se tenir dans la limite de ce qui est acceptable pour les électeurs. Karl Rove, un génie politique de la Maison Blanche, a un plan de maître pour sécuriser aux Républicains la base d’électorat croyant comprenant aussi bien des catholiques pratiquants, mormons et juifs que des évangéliques. Le plus intéressant, donc, ce n’est pas que Bush est captif de la droite religieuse, mais que ses hommes sont en train de rendre la droite religieuse captive du parti Républicain.

(International Herald Tribune) ajouté le 27-5-2003