"Le monde actuel est digne de l'imagination d'Orwell" [Simon
Davies]
Pour l'inventeur des Big Brother Awards, 2003 ressemble à "1984"
George Orwell, l'auteur de 1984, aurait eu cent ans aujourd'hui. De nombreuses
associations de défense de la vie privée profitent de l'anniversaire
de la naissance de l'inventeur de "Big Brother", symbole d'un
pouvoir tyrannique et omniscient, pour dénoncer la multiplication
des moyens de surveillance déployés par les Etats et les
entreprises. Entretien avec Simon Davies, président de Privacy
International, une association de défense de la vie privée.
Basée à Londres, Privacy International décerne chaque
année les "Big Brother Awards", qui "récompensent"
les plus graves atteintes à la vie privée dans les pays
développés.
Quels sont les indices qui démontrent la pertinence du cauchemar
orwellien dans le monde contemporain ?
Simon Davies : La biométrie, la vidéosurveillance, l'espionnage
des télécommunications... Les outils de surveillance mis
en place par les gouvernements des pays industrialisés sont toujours
plus puissants et intrusifs. Je suis frappé par le fait qu'on demande
de moins en moins aux Etats de justifier le déploiement de ces
technologies. Plus les outils qui violent la vie privée sont nombreux,
plus les populations les acceptent passivement. La pensée critique
s'étiole : c'est, à mes yeux, le premier symptôme
de l'avènement d'un univers proche de celui imaginé par
Orwell dans 1984.
Le second symptôme est encore plus évident. Comme jamais
auparavant, les nouvelles technologies de surveillance permettent au pouvoir
d'assouvir la passion avec laquelle il cherche à tout savoir de
la vie et des opinions des gens.
La décision prise par le Conseil européen de mettre en
place d'ici deux ou trois ans des passeports biométriques n'a suscité
pratiquement aucune réaction dans les médias. Qu'est-ce
que cette apathie vous inspire ?
Elle me désespère ! La dérive sécuritaire
potentielle que représentent ces passeports me paraît pourtant
évidente. Pour moi, ce n'est que le début de l'avènement
d'un monde technologique oppressant auquel il ne sera plus possible d'échapper
dans vingt ans. Au début des années 90, quand j'ai commencé
à m'impliquer dans la protection de la vie privée, jamais
je n'aurais pu croire que les gens accepteraient un jour des cartes d'identité
biométriques sans la moindre contestation.
Comment analysez-vous le fait que la question de la protection de la
vie privée laisse encore l'immense majorité des citoyens
occidentaux indifférents ?
Principalement par l'habileté avec laquelle les Etats sont capables
d'éviter tout conflit sur ces questions. Depuis la mise en place
du réseau Echelon jusqu'à la "guerre contre le terrorisme"
d'aujourd'hui, chaque nouvelle mesure est présentée comme
vitale et naturelle. Et les gens sont trop occupés à regarder
la télévision pour songer à se demander si on n'est
pas en train de les gruger. Là aussi, le monde actuel ressemble
à celui d'Orwell.
Mais la sécurité est un droit aussi fondamental que la
protection de la vie privée. Une articulation harmonieuse entre
les deux est-elle vraiment possible ?
J'en suis convaincu. Chacun de ces deux droits dépend de l'autre.
Comment prétendre être en sécurité lorsqu'une
institution, aussi vertueuse qu'elle puisse sembler, est capable de tout
savoir de votre vie privée ?
Nous ne nous opposons pas à des mesures de sécurité
qui n'entament pas le droit à la vie privée. Mais la vérité
c'est que la plupart du temps, ces mesures de sécurité sont
illusoires. Si au moins elles étaient mises en place en toute transparence,
cela offrirait une chance au public de les mettre en question. Mais regardez
Echelon ou le filtrage des messageries électroniques : une telle
transparence est inimaginable dans le monde d'aujourd'hui.
Matthieu Auzanneau
Privacy International:
http://www.privacyinternational.org
(Transfert.net) ajouté
le 25-6-2003
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