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Bioéthique: Un nouvel axe du mal, les anti-OGM!

Les Etats-Unis viennent de déposer une plainte devant l'OMC contre l'Europe. Objectif : obtenir une levée du moratoire sur les OGM. Pour Jeremy Rifkin, ce combat est autant économique que culturel.

CONTEXTE - Manifestations
Les ministres de l'Agriculture de plus de 100 pays se sont réunis lundi 23 juin à Sacramento (Californie) pour une conférence organisée par le ministère américain. Près de 1 000 manifestants ont protesté - dont 15 auraient été arrêtés par la police. Les opposants, cités par le San Francisco Chronicle , prétendaient que la réunion était destinée à "forcer les petits pays à lever leurs barrières commerciales devant les OGM". Les représentants du gouvernement américain affirmaient que les militants se trompaient, et qu'aucune décision ne serait prise à Sacramento. Selon eux, la réunion n'avait rien à voir avec le prochain rendez-vous de l'OMC, à Cancún (Mexique), en septembre, où doivent être tranchées - entre autres - les questions agricoles.

Agitateur
Jeremy Rifkin est l'auteur de : Le Siècle biotech : le commerce des gènes dans le meilleur des mondes (La Découverte, Paris, 1998) et le président de la Foundation on Economic Trends à Washington.

Vous qui pensiez que la querelle entre l'administration Bush et ses partenaires européens avait pris fin avec la campagne militaire en Irak, détrompez-vous. La Maison-Blanche a maintenant jeté son dévolu sur quelque chose de bien plus personnel : le contenu des assiettes des Européens. Le 13 mai, le gouvernement américain a porté plainte devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour forcer l'Union européenne (UE) à lever son "moratoire de fait" sur la vente de semences et d'aliments génétiquement modifiés. L'UE a répliqué qu'il n'y avait aucun moratoire et a fait remarquer qu'elle avait donné son accord à deux demandes d'importation de semences transgéniques en 2002. Quoi qu'il en soit, la nouvelle offensive du président Bush risque de déclencher une nouvelle querelle entre les deux superpuissances, une querelle dont les retombées à long terme pourraient être plus graves que le désaccord sur l'Irak. En effet, la majorité des Européens a jeté l'anathème sur les aliments génétiquement modifiés. Ils s'inquiètent non seulement de leurs conséquences sur l'environnement et la santé, mais aussi sur la culture. A la différence des Etats-Unis, où la population a accepté depuis longtemps la culture de la nourriture rapide imposée par les entreprises, la nourriture et la culture sont, en Europe, intimement liées : chaque région est fière de ses traditions culinaires et exalte ses produits locaux.

En cette époque de forces mondialisatrices, où les grandes entreprises et les organismes bureaucratiques investis de pouvoirs réglementaires étendent leur emprise sur la société, les Européens ont l'impression que leur alimentation est le dernier vestige d'identité culturelle où ils aient encore leur mot à dire. C'est la raison pour laquelle les sondages d'opinion réalisés en Europe, y compris dans les pays candidats à l'Union, montrent qu'une écrasante majorité de la population est contre les aliments génétiquement modifiés. Les multinationales de l'industrie alimentaire présentes en Europe, comme McDonald's, Coca-Cola et Burger King, ont pris en compte cette aversion et ont promis de ne pas utiliser de produits contenant des OGM. Tenter de les imposer ne ferait qu'alimenter la colère et le ressentiment du public.

En laissant entendre que l'opposition de l'Europe aux aliments génétiquement modifiés équivaut à condamner des millions de personnes à mourir de faim dans le tiers-monde, la Maison-Blanche a aggravé une situation déjà peu brillante. Toujours selon le gouvernement américain, la politique européenne en matière d'OGM oblige les paysans pauvres des nations en voie de développement à cultiver des plantes traditionnelles et leur fait perdre les avantages commerciaux qui vont de pair avec les cultures transgéniques. Mais les commentaires du président Bush sur les nombreux bénéfices des aliments génétiquement modifiés ressemblent davantage à une campagne de relations publiques qu'à un discours politique fondé sur des arguments solides.

Le problème de la faim dans le tiers-monde est un problème complexe qui ne pourra pas être résolu par l'introduction de cultures transgéniques. En premier lieu, 80 % des enfants qui souffrent de malnutrition dans le monde en voie de développement vivent dans des pays où il existe un surplus alimentaire. La cause de la famine tient plutôt à la manière dont les terres arables sont exploitées. Aujourd'hui, 21 % de la production agricole de ces régions est destinée à l'alimentation animale. Dans de nombreux pays, plus de un tiers des céréales sont cultivées pour nourrir les animaux d'élevage, qui seront mangés par les gens les plus riches du monde dans les nations industrialisées du Nord. Résultat : les consommateurs prospères du Nord ont un régime alimentaire riche en protéines animales, et les populations les plus défavorisées de la planète n'ont plus que très peu de terres pour faire pousser les céréales qui nourriront leurs familles. Qui plus est, les terres disponibles appartiennent souvent aux grands groupes agro-industriels internationaux, ce qui ne fait qu'aggraver la situation des habitants des campagnes. L'intro- duction de cultures alimentaires génétiquement modifiées ne change en rien cette réalité de base.

Ensuite, lorsque le président Bush évoque les économies réalisées grâce aux cultures de plantes transgéniques, il semble oublier que les semences génétiquement modifiées sont plus chères que les semences traditionnelles. En outre, comme elles font l'objet d'un brevet et appartiennent aux entreprises de biotechnologie, les paysans ne peuvent pas garder les nouvelles semences pour les planter l'année suivante. Le contrôle de la propriété intellectuelle sur le matériel génétique des plantes vivrières les plus cultivées dans le monde ne peut que se traduire par d'énormes profits pour des entreprises telles que Monsanto et par une marginalisation de plus en plus importante pour les paysans les plus démunis de la planète. Autre argument de la Maison-Blanche : la nouvelle génération de plantes est capable de fabriquer des vaccins, des médicaments, et même des substances chimiques industrielles. L'exemple donné est celui du riz doré, ou "golden rice", une variété de riz génétiquement modifié pour produire du bêta-carotène, un précurseur de la vitamine A. Rappelant que un demi-million d'enfants pauvres dans le monde souffrent d'une carence en vitamine A et deviennent aveugles, Robert Zoellick, le représentant américain pour le commerce, clame qu'il serait immoral de les priver de ce précieux aliment. Mais, si l'industrie biotechnologique vante les mérites de ce "riz miracle" depuis quelques années, les revues scientifiques ont publié des articles démontrant qu'il ne sert absolument à rien. En effet, pour transformer le bêta-carotène en vitamine A, le corps a besoin de protéines et de graisses que n'ont pas les enfants sous-alimentés.

Il y a autre chose qui agace les Européens, c'est le ton moralisateur du président Bush. De nombreux chefs d'Etat ont été ulcérés de l'entendre dire que "les gouvernements européens devraient épouser la grande cause de la disparition de la faim en Afrique, et non lui faire obstacle". En effet, le pourcentage du PIB consacré à l'aide étrangère est plus important en Europe qu'aux Etats-Unis : Washington est à la traîne des nations industrialisées, en vingt-deuxième position seulement, sur la liste des pays fournisseurs d'aide.

Jeremy Rifkin

(The Guardian/ Courrier International) ajouté le 5-7-2003