Dieu va-t-il y retrouver les
siens ? Si son nom n'y est pas mentionné en toutes lettres,
le préambule de la future Constitution européenne, dévoilé
hier, rend au moins hommage à l'«héritage religieux»
de l'Europe. Une victoire pour les Eglises, en particulier
catholique et orthodoxe, qui réclamaient une telle mention.
Elles n'avaient pu l'obtenir dans la Charte des droits fondamentaux,
adoptée en décembre 2000. Reste à savoir si l'assemblée plénière
de la Convention européenne, l'enceinte chargée de rédiger
la loi fondamentale de l'Union élargie, acceptera d'entériner
la manoeuvre.
Portée juridique. Valéry Giscard d'Estaing, le président
de la Convention, soucieux de ne pas heurter les tenants de
la laïcité, s'est opposé à ce que la religion figure dans
le corps même du texte afin de ne pas lui donner une portée
juridique trop grande : par exemple, la référence aux «valeurs
religieuses» ne risquerait-elle pas, un jour, de justifier
un recours juridictionnel pour obtenir l'interdiction de l'avortement
en Europe ? D'où le souci de noyer la référence religieuse
dans le second paragraphe du préambule : les constituants
s'y affirment «inspirés» par «les héritages culturels,
religieux et humanistes de l'Europe qui, nourris d'abord par
les civilisations hellénique et romaine, marqués par l'élan
spirituel qui l'a parcourue et est toujours présent dans son
patrimoine, puis par les courants philosophiques des lumières,
ont ancré dans la vie de la société sa perception du rôle
central de la personne humaine et de ses droits inviolables
et inaliénables, ainsi que du respect du droit». Ouf...
Un «minestrone», selon l'expression d'une journaliste
italienne, mais qui a le mérite, sans nier le fait religieux,
de l'inscrire dans une perspective historique que Giscard
espère acceptable par tous. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard
si le préambule s'ouvre sur une très belle citation de Thucydide
: «Notre Constitution est appelée démocratie parce que
le pouvoir est entre les mains non d'une minorité mais du
peuple tout entier.»
Consolation. Ce préambule réintroduit aussi l'idée
que le projet européen vise à créer une union «sans cesse
plus étroite». «Les peuples de l'Europe, affirme
le quatrième paragraphe, tout en restant fiers de leur
identité et de leur histoire nationale, sont résolus à dépasser
leurs anciennes divisions, et, unis d'une manière sans cesse
plus étroite, à forger leur destin commun.» VGE espère
ainsi consoler ceux qui regrettent la disparition du mot «fédéral»
(Libération du 27 mai).
Les 105 conventionnels ont désormais entre les mains un projet
de Constitution complet. Vont-ils être capables de dépasser
la défense de leurs intérêts nationaux, ce dont n'ont pas
été capables leurs gouvernements lors de la négociation du
traité de Nice, en décembre 2000 ? Réponse d'ici le 20 juin
prochain, date de la remise de la copie aux chefs d'Etat et
de gouvernement.