Pour la troisième fois en moins de dix ans, Jean-Paul
II arrive en Croatie pour une longue visite apostolique
de cinq jours (5-9 juin). « Le Pape aime beaucoup la
Croatie, car elle lui rappelle la Pologne, son pays
d’origine », assure Anton Suljic, directeur de l’agence
de presse catholique Ika. En effet, comme la Pologne,
la Croatie, aux confins de l’Europe occidentale, est
un pays de longue tradition catholique qui, pendant
des décennies, a connu l’oppression communiste.
Christianisée depuis le VIIe siècle, elle a trouvé et
construit son identité dans la foi catholique et son
attachement à Rome. Au point d’associer et de confondre
parfois politique et religion, nation et Église. Le
soutien, pendant la Seconde Guerre mondiale, d’une partie
de l’Église au régime pro-nazi d’Ante Pavelic et à la
création d’un État croate oustachi (1941-1945) reste
ainsi comme une tache dans son histoire récente.
Franjo Tudjman, président de la République de 1990 à
1999, n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser avec habileté
les réflexes nationalistes de ses compatriotes pour
développer une politique agressive à l’égard des Serbes
orthodoxes. « Porté par l’enthousiasme général de la
création d’un État indépendant, il est possible que
certains représentants de l’Église croate n’aient pas
assez pris de distance avec le pouvoir politique de
l’époque », reconnaît Anton Suljic.
Après plusieurs décennies de régime communiste et quatre
ans de guerre contre les Serbes, le pays et l’Église
restent fragiles. Aujourd’hui, les armes se sont tues.
Les touristes étrangers ont retrouvé les routes ensoleillées
de la côte adriatique. Mais l’économie tarde à retrouver
un nouveau souffle. Plus d’un Croate sur cinq est au
chômage (22,6 % en 2000, 23,1 % en 2001). Et les cœurs
et les esprits sont encore marqués par les massacres,
les destructions et les exodes de la guerre qui, de
1991 à 1995, a meurtri les populations et accentué les
hostilités ancestrales entre Serbes et Croates.
Lors de sa première visite en 1994, en plein conflit,
Jean-Paul II avait lancé à Zagreb un vibrant appel :
« Ayez l’audace du pardon et de l’accueil. » Mais beaucoup
avouent leur impuissance. « Il nous sera très difficile
de vivre à nouveau avec les Serbes qui ont détruit nos
maisons et massacré nos parents », confie un habitant
de Vukovar, la ville martyre. La réconciliation est
un long chemin. Les Serbes de Croatie qui ont fui leurs
maisons pendant la guerre hésitent à revenir. Le gouvernement
Racan a réaffirmé à plusieurs reprises leur droit au
retour. Mais les peurs demeurent. « Il faut que les
réfugiés reviennent, assure le P. Matu Antunovic, responsable
de la Mission croate en France. À partir de là, on pourra
restaurer la confiance. »
Tel est l’un des objectifs de Cropax, un organisme créé
par Caritas Croatie et par l’institut franciscain pour
la culture et la paix : promouvoir les initiatives de
réconciliation et de paix, soutenir les groupes (religieux
ou non) engagés dans de telles actions. « En se rendant
à Osijek au nord et à Dubrobnik au sud, aux frontières
du monde orthodoxe oriental, le Pape aura l’occasion
de relancer ses appels à l’unité des Églises », analyse
Ivan Markesic, professeur de sociologie des religions
à l’université de Zagreb.
Secouée, destructurée, la Croatie doit se reconstruire
sur de nouvelles bases. « Concrètement, déclarait le
Pape à Split en 1998, les chrétiens des terres croates
sont aujourd’hui appelés à donner un nouveau visage
à leur patrie, en particulier en s’engageant pour le
rétablissement dans la société des valeurs éthiques
et morales, minées par les régimes totalitaires précédents
et par les récentes violences de la guerre. »
« La Croatie a été marquée par un demi-siècle d’endoctrinement
communiste et athée, confirme Ivan Markesic. On avait
l’impression que notre Église s’était habituée à agir
dans les catacombes communistes. Avec la chute du communisme,
les chrétiens se sont retrouvés dans une sorte de vide
et de désarroi. L’Église n’a pas su reconnaître aussitôt
les « signes des temps », et offrir de nouvelles valeurs.
»
« Les mentalités ne changent pas d’un seul coup de baguette
magique, rappelle le P. Vlatko Maric, franciscain, et
pourtant ce sont elles qu’il faut faire bouger. L’Église
reste encore trop cléricale, et ne donne pas assez de
place aux laïcs. Il lui faut appliquer le concile Vatican
II de manière très concrète. Mais il y a déjà des signes
d’évolution, et cette visite va lui donner une nouvelle
impulsion. »
Bernard JOUANNO
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