05-06-2003
La Croatie accueille le Pape en cousin

Du 5 au 9 juin, Jean-Paul II rencontre une Église croate qui se remet de plusieurs décennies de communisme et de quatre années de guerre

L'arrivée du Pape jeudi en Croatie (photo AP)


Pour la troisième fois en moins de dix ans, Jean-Paul II arrive en Croatie pour une longue visite apostolique de cinq jours (5-9 juin). « Le Pape aime beaucoup la Croatie, car elle lui rappelle la Pologne, son pays d’origine », assure Anton Suljic, directeur de l’agence de presse catholique Ika. En effet, comme la Pologne, la Croatie, aux confins de l’Europe occidentale, est un pays de longue tradition catholique qui, pendant des décennies, a connu l’oppression communiste.

Christianisée depuis le VIIe siècle, elle a trouvé et construit son identité dans la foi catholique et son attachement à Rome. Au point d’associer et de confondre parfois politique et religion, nation et Église. Le soutien, pendant la Seconde Guerre mondiale, d’une partie de l’Église au régime pro-nazi d’Ante Pavelic et à la création d’un État croate oustachi (1941-1945) reste ainsi comme une tache dans son histoire récente.

Franjo Tudjman, président de la République de 1990 à 1999, n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser avec habileté les réflexes nationalistes de ses compatriotes pour développer une politique agressive à l’égard des Serbes orthodoxes. « Porté par l’enthousiasme général de la création d’un État indépendant, il est possible que certains représentants de l’Église croate n’aient pas assez pris de distance avec le pouvoir politique de l’époque », reconnaît Anton Suljic.

Après plusieurs décennies de régime communiste et quatre ans de guerre contre les Serbes, le pays et l’Église restent fragiles. Aujourd’hui, les armes se sont tues. Les touristes étrangers ont retrouvé les routes ensoleillées de la côte adriatique. Mais l’économie tarde à retrouver un nouveau souffle. Plus d’un Croate sur cinq est au chômage (22,6 % en 2000, 23,1 % en 2001). Et les cœurs et les esprits sont encore marqués par les massacres, les destructions et les exodes de la guerre qui, de 1991 à 1995, a meurtri les populations et accentué les hostilités ancestrales entre Serbes et Croates.

Lors de sa première visite en 1994, en plein conflit, Jean-Paul II avait lancé à Zagreb un vibrant appel : « Ayez l’audace du pardon et de l’accueil. » Mais beaucoup avouent leur impuissance. « Il nous sera très difficile de vivre à nouveau avec les Serbes qui ont détruit nos maisons et massacré nos parents », confie un habitant de Vukovar, la ville martyre. La réconciliation est un long chemin. Les Serbes de Croatie qui ont fui leurs maisons pendant la guerre hésitent à revenir. Le gouvernement Racan a réaffirmé à plusieurs reprises leur droit au retour. Mais les peurs demeurent. « Il faut que les réfugiés reviennent, assure le P. Matu Antunovic, responsable de la Mission croate en France. À partir de là, on pourra restaurer la confiance. »

Tel est l’un des objectifs de Cropax, un organisme créé par Caritas Croatie et par l’institut franciscain pour la culture et la paix : promouvoir les initiatives de réconciliation et de paix, soutenir les groupes (religieux ou non) engagés dans de telles actions. « En se rendant à Osijek au nord et à Dubrobnik au sud, aux frontières du monde orthodoxe oriental, le Pape aura l’occasion de relancer ses appels à l’unité des Églises », analyse Ivan Markesic, professeur de sociologie des religions à l’université de Zagreb.

Secouée, destructurée, la Croatie doit se reconstruire sur de nouvelles bases. « Concrètement, déclarait le Pape à Split en 1998, les chrétiens des terres croates sont aujourd’hui appelés à donner un nouveau visage à leur patrie, en particulier en s’engageant pour le rétablissement dans la société des valeurs éthiques et morales, minées par les régimes totalitaires précédents et par les récentes violences de la guerre. »

« La Croatie a été marquée par un demi-siècle d’endoctrinement communiste et athée, confirme Ivan Markesic. On avait l’impression que notre Église s’était habituée à agir dans les catacombes communistes. Avec la chute du communisme, les chrétiens se sont retrouvés dans une sorte de vide et de désarroi. L’Église n’a pas su reconnaître aussitôt les « signes des temps », et offrir de nouvelles valeurs. »

« Les mentalités ne changent pas d’un seul coup de baguette magique, rappelle le P. Vlatko Maric, franciscain, et pourtant ce sont elles qu’il faut faire bouger. L’Église reste encore trop cléricale, et ne donne pas assez de place aux laïcs. Il lui faut appliquer le concile Vatican II de manière très concrète. Mais il y a déjà des signes d’évolution, et cette visite va lui donner une nouvelle impulsion. »

Bernard JOUANNO