07-06-2003
Les Polonais aux urnes pour l’Europe


Les Polonais sont appelés aux urnes ce week-end pour se prononcer sur l’adhésion de leur pays à l’Union européenne. Selon les sondages, le « oui » est majoritaire


«Ce référendum devait être un moment clair et joyeux. C’est une période tendue, pleine d’incertitude », constate avec un pincement de regret Bronislaw Geremek. L’historien, figure illustre de Solidarité, ancien ministre des affaires étrangères, attendait le référendum sur l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne comme une façon de tourner définitivement la page sur la période communiste.

Or il constate que « depuis quelques mois, la question de l’entrée dans l’UE a commencé à être exploitée dans le jeu politique. Il existe pour la première fois au Parlement des groupes qui se prononcent contre l’entrée de la Pologne dans l’Union. Et ce sont donc, surtout, les frustrations qui s’expriment », dit-il.

Pourtant, en dépit de ce sombre climat, il y a peu de risques que les Polonais votent « non » lors du référendum d’adhésion qui aura lieu samedi et dimanche. Les sondages sont formels. Ils montrent depuis des mois que trois quarts des Polonais interrogés soutiennent l’intégration de la Pologne dans l’Union, tandis que seuls 20 % environ s’y opposent. Après la Hongrie, la Slovénie, la Slovaquie, la Lituanie, et Malte, la Pologne devrait donc passer l’épreuve.

Les abstentionnistes pourraient invalider le référendum

Mais il existe un sérieux doute sur la participation. Les sondages montrent qu’elle oscille autour des 52 %. Or la loi électorale rend nécessaire un seuil de plus de 50 % des votants pour que le référendum soit validé. Si la voie référendaire échoue, ce sera alors au Parlement polonais d’approuver le traité d’adhésion.

« Un échec du référendum ne sera pas une catastrophe. Cela ne bloquera pas le processus d’élargissement, estime un diplomate européen en poste à Varsovie. Mais cela aura des conséquences sur l’image extérieure de la Pologne. Et cela donnera des arguments aux partis antieuropéens des pays qui doivent encore voter », comme la République tchèque la semaine prochaine, ou l’Estonie et la Lettonie en septembre.

Car l’image restera d’une Pologne entrant dans l’Union européenne à reculons. Pour essayer d’obtenir la participation maximum, le gouvernement a organisé le référendum sur deux jours. Et le samedi soir, Lech Nikolski, le ministre en charge de l’organisation du référendum, publiera les chiffres de participation, afin d’inciter les citoyens à se déplacer. Qu’est-ce qui explique cette vague de morosité ? Il y a d’abord la situation économique difficile.

Après dix années de forte croissance, la Pologne vient de connaître cinq trimestres de quasi-stagnation. Le chômage touche plus de 18 % de la population active. Tandis qu’une nouvelle classe moyenne a émergé depuis quinze ans, toute une partie de la population a été laissée sur le bord du chemin. « Il existe la Pologne A, ceux qui se sont adaptés aux exigences du marché, et une Pologne B, faite de gens qui ont souffert des changements, qui n’ont pas connu le succès.

Ceux-là se sentent abandonnés des élites politiques », explique Marcin Przeciszewski, rédacteur en chef de l’agence catholique d’information (KAI). Cette Pologne B, c’est bien celle qui apporte son soutien aux nouveaux partis antieuropéens ayant fait une entrée fracassante au Parlement polonais il y a deux ans.

Ainsi, la Ligue des familles polonaise (LPR) fait campagne contre l’entrée de la Pologne dans l’Union en réveillant la crainte d’une « Europe allemande ». Tous les jours, devant l’église de la Visitation, au centre de Varsovie, on peut voir quelques dizaines de militants de la LPR qui prient contre l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne. Ils brandissent des affiches qui portent une photo d’Adolf Hitler et le slogan : « Cela, nous l’avons déjà connu. » Ils dénoncent cette Europe qui encouragerait l’euthanasie et l’homosexualité : « Avec l’Union, nos fils auront des maris et nos grands-mères des piqûres à deux euros », lance un orateur, avant de faire chanter l’hymne national.

L’autre formation antieuropéenne est le parti populiste «autodéfense» («Samoobrodna») qui manie davantage des arguments économiques. Son leader, Andrzej Lepper, n’hésite pas à affirmer dans un tract qu’avec l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, « toute l’agriculture, la moitié des PME polonaises et 60 % de l’industrie lourde vont disparaître ». Il joue aussi sur la peur que les Allemands viennent acheter des terres en Pologne.

Un gouvernement trop discrédité pour convaincre la population

Or, face à ces partis antieuropéens, le gouvernement du postcommuniste Leszek Miller est bien en peine d’opposer une vigoureuse campagne proeuropéenne. Englué dans les scandales à répétition, il atteint des records d’impopularité.

Seuls 8 % des Polonais disent encore soutenir son action. Toute sa stratégie est donc de ne pas lier le résultat de ce référendum à son sort personnel, afin que les électeurs ne soient pas tentés de sanctionner le gouvernement en votant « non » à l’Europe.

La difficulté à mobiliser les électeurs vient aussi de ce que le vote, à l’époque communiste, était obligatoire. « Aujourd’hui, pour beaucoup de Polonais, la liberté, c’est de ne pas voter », commente cet observateur qui rappelle que « jamais, dans aucun des référendums qui ont eu lieu ces dernières années en Pologne, la participation n’a atteint le seuil des 50 % ».

La campagne pour le « oui » a, de surcroît, été prise en charge par des partis qui font preuve d’amateurisme, et les interminables débats qui passent à la télévision pour inviter les citoyens à s’exprimer rappellent « la propagande soviétique ». Le seul à se mobiliser efficacement est le président Aleksander Kwasniewski, dont la popularité ne se dément pas.

Il multiplie les déplacements en province et sait s’adresser à la population. Il a reçu le soutien de deux alliés de poids. Le premier est le Pape. Le plus célèbre des Polonais a exprimé, il y a quinze jours, son choix de l’Europe en quelques phrases qui ont été rappelées dans une lettre des évêques, lue dans toutes les églises dimanche dernier.

Dans un pays où 48 % de la population fréquente la messe tous les dimanche, cela ne va pas manquer de compter. L’autre allié fut le président américain George W. Bush. De passage pour quelques heures en Pologne, samedi dernier, il a insisté à la télévision sur le fait qu’il n’y avait pas d’antagonisme entre les États-Unis et l’Union européenne.

Le Pape et le président des États-Unis. Il n’en fallait pas moins pour inciter les Polonais à voter. Mais tout cela suffira-t-il à effacer l’impression d’un pays qui, au seuil de l’Union, hésite à sauter le pas ?

Alain GUILLEMOLES à Varsovie