«Ce référendum devait être un moment clair et joyeux.
C’est une période tendue, pleine d’incertitude », constate
avec un pincement de regret Bronislaw Geremek. L’historien,
figure illustre de Solidarité, ancien ministre des affaires
étrangères, attendait le référendum sur l’adhésion de
la Pologne à l’Union européenne comme une façon de tourner
définitivement la page sur la période communiste.
Or il constate que « depuis quelques mois, la question
de l’entrée dans l’UE a commencé à être exploitée dans
le jeu politique. Il existe pour la première fois au
Parlement des groupes qui se prononcent contre l’entrée
de la Pologne dans l’Union. Et ce sont donc, surtout,
les frustrations qui s’expriment », dit-il.
Pourtant, en dépit de ce sombre climat, il y a peu de
risques que les Polonais votent « non » lors du référendum
d’adhésion qui aura lieu samedi et dimanche. Les sondages
sont formels. Ils montrent depuis des mois que trois
quarts des Polonais interrogés soutiennent l’intégration
de la Pologne dans l’Union, tandis que seuls 20 % environ
s’y opposent. Après la Hongrie, la Slovénie, la Slovaquie,
la Lituanie, et Malte, la Pologne devrait donc passer
l’épreuve.
Les abstentionnistes pourraient invalider le référendum
Mais il existe un sérieux doute sur la participation.
Les sondages montrent qu’elle oscille autour des 52
%. Or la loi électorale rend nécessaire un seuil de
plus de 50 % des votants pour que le référendum soit
validé. Si la voie référendaire échoue, ce sera alors
au Parlement polonais d’approuver le traité d’adhésion.
« Un échec du référendum ne sera pas une catastrophe.
Cela ne bloquera pas le processus d’élargissement, estime
un diplomate européen en poste à Varsovie. Mais cela
aura des conséquences sur l’image extérieure de la Pologne.
Et cela donnera des arguments aux partis antieuropéens
des pays qui doivent encore voter », comme la République
tchèque la semaine prochaine, ou l’Estonie et la Lettonie
en septembre.
Car l’image restera d’une Pologne entrant dans l’Union
européenne à reculons. Pour essayer d’obtenir la participation
maximum, le gouvernement a organisé le référendum sur
deux jours. Et le samedi soir, Lech Nikolski, le ministre
en charge de l’organisation du référendum, publiera
les chiffres de participation, afin d’inciter les citoyens
à se déplacer. Qu’est-ce qui explique cette vague de
morosité ? Il y a d’abord la situation économique difficile.
Après dix années de forte croissance, la Pologne vient
de connaître cinq trimestres de quasi-stagnation. Le
chômage touche plus de 18 % de la population active.
Tandis qu’une nouvelle classe moyenne a émergé depuis
quinze ans, toute une partie de la population a été
laissée sur le bord du chemin. « Il existe la Pologne
A, ceux qui se sont adaptés aux exigences du marché,
et une Pologne B, faite de gens qui ont souffert des
changements, qui n’ont pas connu le succès.
Ceux-là se sentent abandonnés des élites politiques
», explique Marcin Przeciszewski, rédacteur en chef
de l’agence catholique d’information (KAI). Cette Pologne
B, c’est bien celle qui apporte son soutien aux nouveaux
partis antieuropéens ayant fait une entrée fracassante
au Parlement polonais il y a deux ans.
Ainsi, la Ligue des familles polonaise (LPR) fait campagne
contre l’entrée de la Pologne dans l’Union en réveillant
la crainte d’une « Europe allemande ». Tous les jours,
devant l’église de la Visitation, au centre de Varsovie,
on peut voir quelques dizaines de militants de la LPR
qui prient contre l’entrée de la Pologne dans l’Union
européenne. Ils brandissent des affiches qui portent
une photo d’Adolf Hitler et le slogan : « Cela, nous
l’avons déjà connu. » Ils dénoncent cette Europe qui
encouragerait l’euthanasie et l’homosexualité : « Avec
l’Union, nos fils auront des maris et nos grands-mères
des piqûres à deux euros », lance un orateur, avant
de faire chanter l’hymne national.
L’autre formation antieuropéenne est le parti populiste
«autodéfense» («Samoobrodna») qui manie davantage des
arguments économiques. Son leader, Andrzej Lepper, n’hésite
pas à affirmer dans un tract qu’avec l’entrée de la
Pologne dans l’Union européenne, « toute l’agriculture,
la moitié des PME polonaises et 60 % de l’industrie
lourde vont disparaître ». Il joue aussi sur la peur
que les Allemands viennent acheter des terres en Pologne.
Un gouvernement trop discrédité pour convaincre la
population
Or, face à ces partis antieuropéens, le gouvernement
du postcommuniste Leszek Miller est bien en peine d’opposer
une vigoureuse campagne proeuropéenne. Englué dans les
scandales à répétition, il atteint des records d’impopularité.
Seuls 8 % des Polonais disent encore soutenir son action.
Toute sa stratégie est donc de ne pas lier le résultat
de ce référendum à son sort personnel, afin que les
électeurs ne soient pas tentés de sanctionner le gouvernement
en votant « non » à l’Europe.
La difficulté à mobiliser les électeurs vient aussi
de ce que le vote, à l’époque communiste, était obligatoire.
« Aujourd’hui, pour beaucoup de Polonais, la liberté,
c’est de ne pas voter », commente cet observateur qui
rappelle que « jamais, dans aucun des référendums qui
ont eu lieu ces dernières années en Pologne, la participation
n’a atteint le seuil des 50 % ».
La campagne pour le « oui » a, de surcroît, été prise
en charge par des partis qui font preuve d’amateurisme,
et les interminables débats qui passent à la télévision
pour inviter les citoyens à s’exprimer rappellent «
la propagande soviétique ». Le seul à se mobiliser efficacement
est le président Aleksander Kwasniewski, dont la popularité
ne se dément pas.
Il multiplie les déplacements en province et sait s’adresser
à la population. Il a reçu le soutien de deux alliés
de poids. Le premier est le
Pape. Le plus célèbre des Polonais a exprimé,
il y a quinze jours, son choix de l’Europe en quelques
phrases qui ont été rappelées dans une lettre des évêques,
lue dans toutes les églises dimanche dernier.
Dans un pays où 48 % de la population fréquente la messe
tous les dimanche, cela ne va pas manquer de compter.
L’autre allié fut le président
américain George W. Bush. De passage pour
quelques heures en Pologne, samedi dernier, il a insisté
à la télévision sur le fait qu’il n’y avait pas d’antagonisme
entre les États-Unis et l’Union européenne.
Le Pape et le président des
États-Unis. Il n’en fallait pas moins pour
inciter les Polonais à voter. Mais tout cela suffira-t-il
à effacer l’impression d’un pays qui, au seuil de l’Union,
hésite à sauter le pas ?
Alain GUILLEMOLES à
Varsovie
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