GRANDEUR ET DECADENCE
D'UN PEUPLE PROPHETE
Jean Vuilleumier
L'Amérique est-elle dans la Prophétie
?
LA PROPHETIE
sacrée - par quoi nous entendons spécialement les livres
de Daniel et de l'Apocalypse - tient compte, dans ses films prodigieux,
de tous les peuples et institutions politico-religieuses ayant joué
un rôle prépondérant dans la marche de l'humanité.
C'est ainsi qu'on y voit défiler Babylone, la Perse, l'empire
grec, Rome, les Barbares, les Arabes, les Turcs, la Papauté,
les Etats de l'Europe moderne, la Question d'Orient, la France ( on
l'a vu, pour cette dernière, dans notre numéro d'août).
Mentionnerait-elle, par hasard, les Etats-Unis d'Amérique ?
C'est notre conviction, et nous allons en donner la preuve dans les
lignes qui vont suivre.
La " Bête à deux cornes " du chap. 13 de l'Apocalypse
- appelée également " le faux prophète "
(16 : 13 ; 19 : 20 ; 20 : 10) - nous paraît symboliser exactement
les origines, l'histoire et le rôle futur des Etats-Unis. Plusieurs
traits de ce symbole désignent cette puissance d'une façon
très nette, à savoir : 1° la chronologie, la situation
géographique et la formation de la " Bête à
deux cornes " ; 2° ses principes de liberté politique
et religieuse ; 3° sa grandeur morale et économique ; 4°
son apostasie ; 5° ses futures persécutions religieuses ;
6° sa déchéance et sa ruine.
Nous citerons le texte biblique de la version de l'Abbé Crampon.
(Desclée & Cie, Paris.)
I.
- Chronologie, Géographie et Formation de la " Bête
à deux Cornes "
"
PUIS le vis monter DE LA TERRE une autre BETE, qui avait deux cornes
semblables à celles 'd'un agneau, et qui parlait comme un dragon.
" Verset 11.
Une Bête, dans la prophétie, signifie un peuple, une nation,
un empire. " Les prophètes représentent souvent les
nations sous l'emblème d'animaux, réels ou fantastique*
: voy. Esa. 27 : 1 ; 51 : 9 ; Ezé. 29 : 3 ; 32 : 2. Comp. Psa.
68 : 31 ; 74 : 13. " (Version de Crampon, note sur Dan. 7 : 3.)
Or les Etats-Unis, étant une nation, peuvent être celle
que vise notre prophétie.
" Puis je vis... une autre Bête. "
La " Bête à deux cornes " se présente
au prophète à la suite de la " Bête à
dix cornes " (des versets 1-10). Cette nation nouvelle doit donc
paraître à la fin de la carrière de la première,
dont il est dit qu'elle doit étonner le monde " pendant
quarante-deux mois " (v. 6). Cette période, qui équivaut
à 1260 jours (42 x 30 = 1260), doit s'entendre en années
littérales (Nomb. 14 : 34 ; Ezé. 4 : 6). Elle embrasse
l'ère, de la suprématie papale, et va de 538 à
1798 de notre ère. (Voir nos articles de juin et septembre 1925.)
Cela étant correct, la Bête à deux cornes - qui
doit commencer à jouer son rôle après la "
Bête à dix cornes " - appartient au XIXe et au XXe
siècles. Son rôle, indiqué aux versets 12 et 14,
doit se déployer, en effet, à une époque où
" la première bête est guérie de sa plaie mortelle
", c'est-à-dire où la papauté regagne son
prestige universel, prestige avarié depuis cent ou deux cents
ans. C'est donc aujourd'hui.
Nul n'est besoin de connaître en détail l'histoire des
Etats-Unis pour savoir que cette république, insignifiante lorsqu'elle
fut fondée en 1776, par Washington et ses associés, a
grandi à tel point qu'elle occupe actuellement parmi les nations
du monde une place de première grandeur.
Cette Bête, dit la prophétie, " monte de la terre
". La " mer ", en langage prophétique, par opposition
à " la terre ", désigne le vaste monde et ses
commotions politiques (Apoc. 17 : 15). " La grande mer agitée
par les quatre vents symbolise le monde païen et ses agitations.
" (Crampon, Dan. 7 : 2.)
" La terre ", par contre, indiquerait donc des régions
non occupées politiquement, et conquises paisiblement par la
voie de la colonisation. " La première bête (dit Crampon)
sortait de la mer, c'est-à-dire de l'agitation et du bouleversement
des peuples ; celle-ci monte de la terre, élément plus
calme : elle naît dans un état social tranquille... "
Telle est précisément la situation géographique
et telle a été la formation des Etats-Unis. Née
au-delà des mers, au milieu des vastes solitudes d'un nouveau
monde, sur un continent vierge, cette nation a grandi, non par la force
des armes, mais à la faveur de l'immigration, sur les immenses
et riches territoires situés entre l'Océan-Atlantique
et l'Océan Pacifique, et insoupçonnés de l'ancien
monde jusqu'au XVIIe siècle.
" Ici (disaient les Quakers, en fondant Philadelphie eh 1684),
ici nous pouvons vivre dans la paix et dans la retraite, au sein d'une
nature qui a conservé sa pureté ; ici nous pouvons mener
une vie innocente sur un terrain vierge. " (Astié, Hist.
des Etats-Unis, II, p. 222.)
" La fin du siècle dernier a été témoin
d'un événement dont les suites politiques et morales doivent
être immenses (écrivait Vinet vers 1825). Une nation s'est
tout d'un coup formée. Les colonies de l'Amérique septentrionale
se sont élevées à la dignité de peuple indépendant
et souverain. Cette nouvelle société politique a élevé
l'édifice de ses lois sur un sol que n'encombraient les ruines
d'aucun autre établissement. Elle n'a point eu à compter
avec les souvenirs, les préjugés et les prétentions
d'un autre siècle. " (Vinet, La liberté des Cultes,
page 179.)
" La civilisation va chercher (aux Etats-Unis, disait de son côté
Victor Hugo, vers 1830,) une terre neuve el vierge et un principe nouveau
: LA LIBERTE. " (OEuvres complètes. Philosophie, vol. I,
Hetzel, Paris, 1882.)
s. (Les Indiens, dit Garneau, s'effacèrent) comme leurs forêts
devant la civilisation qui s'avançait pour s'asseoir en reine
dans ce domaine sans passé. " (Histoire du Canada, v. I,
p. 70.)
" Jamais peuple n'a manifesté une pareille force d'expansion.
Le dernier venu, il a pris place au au banquet des peuples, et on lui
a fait la part de
Benjamin. Son pays, assez vaste pour contenir tous les peuples de l'Europe,
a toute la richesse et toute la fécondité d'une terre
vierge que n'a pas épuisée une insatiable spéculation.
" (M. Lelièvre, Les Prédicateurs pionniers de l'Ouest
américain, p. 377-387.)
II.
- Principes de Liberté politique et religieuse
La
Bêle " avait deux cornes semblables à celles d'un
AGNEAU ".
La corne symbolise la force ou son principe. L'agneau est l'image de
la jeunesse et de la douceur innocente. En politique, cette image désigne,
sans doute, un peuple humain, probe, laborieux, exempt d'esprit de conquêtes
et de visées ambitieuses. Elle implique des lois garantissant
la liberté individuelle, et un peuple tolérant vis-à-vis
de la religion et ennemi par principe de toute persécution.
" II a été permis (au peuple américain, disait
encore Vinet) de ne consulter, dans son organisation, que le bon sens
; et, pour 'la première fois, on a vu se réconcilier la
pratique et la théorie. Ce qu'on appelait rêve de philosophie,
abstractions téméraires, ce peuple l'a réalisé
sans effort... Cet Etat semble avoir résolu le problème
qui consiste à concilier le plus haut degré de liberté
individuelle avec la condition suprême de la sûreté
et de l'ordre. "
Parlant de " la prospérité de cette jeune et illustre
nation ", " élevée rapidement au premier rang
des nations modernes ", le même auteur ajoutait :
" Ainsi fut proclamée, dans la Constitution générale
des Etats-Unis, la liberté religieuse la plus illimitée...
Les Etats-Unis sont le pays où règne la liberté
la plus étendue en matière de conscience... Nous osons
dire que dans cinquante ans (il écrivait, avons-nous dit, vers
1825), l'état religieux de ce pays rendra superflue toute apologie
du régime de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. "
(Idem, pp. 179-185.)
" Aux Etats-Unis, lisait-on dans la Grande Encyclopédie
en 1890, l'Eglise est complètement indépendante de l'Etat
; telle est la situation créée par l'abrogation successive,
après la Révolution, de toutes les lois confessionnelles...
Mais si la société américaine admet tous les cultes
et leur laisse une liberté complète d'action, elle est
profondément religieuse et entend rester chrétienne. "
(Art. Etats-Unis.)
L'étonnante richesse de ces principes nouveaux était analysée
comme suit, en 1865, par un fin observateur et psychologue :
"...La séparation complète de l'Eglise et de l'Etat
était, renfermée en germe dans les principes ecclésiastiques
et religieux (des Puritains)... L'Eglise et l'Etat poursuivent, dans
le plus parfait accord, une uvre à la fois commune et distincte,
et les Etats-Unis nous donnent le spectacle d'une civilisation à
tant d'égards différente de la nôtre. Nos plus graves
complications leur sont inconnues ; la société civile
et la société religieuse n'ont jamais occasion d'entrer
en conflit ; les nombreuses Eglises dispersées dans le pays sont
une école permanente à la fois d'ordre et de liberté
; les convictions les plus opposées et les plus diverses peuvent
se produire : rien n'est là pour leur communiquer une force illusoire
et factice : voilà comment, selon l'expression de M. de Tocqueville,
l'Amérique donne au inonde un spectacle que jusqu'ici il n'avait
pas eu l'occasion d'admirer. La civilisation américaine, dit-il,
" est le " produit de deux éléments parfaitement
distincts, " qui ailleurs se sont fait souvent la guerre, mais
" qu'on est parvenu, en Amérique, à incorporer en
" quelque sorte l'un dans l'autre, et à combiner "
merveilleusement. Je veux parler de l'esprit de " religion el de
l'esprit de liberté ". (Astié, Histoire des Etats-Unis,
vol. II, pp. 240, 273-275. Paris, 1865.)
Dans son discours du 20 décembre 1911, à la Chambre des
Députés, Jaurès parlait de " l'âme de
ces Puritains qui s'étaient épris de l'enthousiasme des
prophètes bibliques, et qui avaient rêvé à
leur façon d'une société de liberté el de
justice ".
Dans un livre écrit après une visite aux Etats-Unis, en
1912 ou 1913, M. D'Estourelles de Constant disait excellemment :
" La diversité (des Eglises aux Etats-Unis); qu'on prend
pour une faiblesse, est leur force et une des forces de leur pays. Une
seule religion serait vite en lutte, comme en France, ou en Italie,
ou en Espagne, avec les pouvoirs publics... Les Américains n'ont
ni temps ni hommes à perdre en vaines querelles ; ils veulent
des Eglises qui s'entendent pour les aider, el elles s'entendent ; elles
acceptent la loi de la concurrence ; elles en profitent, elles rivalisent
de bonne volonté, et non de haine ; elles participent au grand
travail national ; elles sont associées, au lieu d'être
ennemies. Chacune d'elles grandit en raison de son effacement volontaire.
"
III.
- Grandeur économique et morale
Ce
caractère se déduit du fait même de la place éminente
que fa prophétie assigne, dans le concert des peuples, à
celle nation au caractère " d'agneau ". Il est la conséquence
logique des principes en vertu desquels (selon la prédiction)
elle prétend jouer un rôle mondial. (Versets 12-14.)
A cet égard, il y a un siècle seulement, les esprits étaient
partagés dans leurs prévisions. Les amis de la liberté
religieuse prédisaient, dans leur enthousiasme, un avenir magnifique
à la jeune république. Les partisans du régime
théocratique, au contraire, n'auguraient pour elle qu'une misérable
el courte carrière. Tel Joseph de Maistre qui, dans ses Soirées
de Saint-Pétersbourg, écrivait en 1796 :
" Je ne crois point à la stabilité du gouvernement
américain... On a décidé qu'on bâtirait une
ville nouvelle qui serait le siège du gouvernement... On a arrêté
que la ville s'appellerait Washington... L'on pourrait gager mille contre
un que la ville ne se bâtira pas, ou qu'elle ne s'appellera pas
Washington, ou que le Congrès n'y résidera pas. "
(Cité par L. Naudeau dans l'Illustration du 12 janvier 1924.)
A peine 70 ans plus tard, en 1863, M. John Bigelow, consul des Etats-Unis
à Paris, publiait sur son pays un livre d'où il ressortait
" pour le lecteur, la démonstration pleine et entière
de la puissance, de la richesse, de l'esprit de ressources développé
jusqu'ici ".
C'est un grand peuple (ajoutait le Dictionnaire Universel de Pierre
Larousse, tome VII, p. 1022, en rendant compte de cet ouvrage) c'est
un grand peuple qui est appelé "n jour à peser dans
la balance des grands intérêts politiques de l'Europe,
comme il pèse, dès aujourd'hui, sur les intérêts
de son commerce, de son industrie et de son bien-être. La lecture
de cet ouvrage fait naître de graves préoccupations au
sujet du développement extraordinaire des Etats de race anglo-saxonne
au-delà de l'Océan, pour tout homme qui s'intéresse
à l'avenir de la France. "
En 1869, Lucien Jottrand, ancien membre du Congrès national belge
de 1830, pouvait dire également :
" Les institutions américaines aux Etats-Unis, en moins
d'un siècle, ont fait le peuple le plus puissant du monde d'une
agrégation politique de moins de quatre millions d'hommes au
commencement. " (Du repos du Dimanche, H. Georg, Baie et Genève,
1870.)
Franchissons un tiers de siècle, et que voyons-nous ? Quelles
impressions rapporte d'Amérique, en 1902, un journaliste parisien
? Laissons parler Urbain Gohier :
" Les impressions que fait naître une rapide exploration
du monde américain se traduisent ainsi :
" - Sensation d'immensité ; immensité d'étendue,
immensité de ressources. Les statistiques, les chiffres sur le
papier parlent médiocrement à l'imagination. Quand on
a vu de ses yeux, on est écrasé.
" - Sensation du triomphe de la liberté. C'est par la liberté,
par la liberté sans frein, sans restrictions, que de telles merveilles
ont été possibles et qu'un tel avenir est assuré.....
" ...Quand les peuples d'Europe seront acculés à
la décadence et à la ruine, quand ils compareront leur
misère avec l'opulence des Américains, ils seront obligés
d'en reconnaître les causes. " (Urbain Gohier, Le peuple
du XXe siècle aux Etats-Unis, Paris 1903.)
Encore un témoignage, celui d'un parlementaire suisse qui visita
l'Amérique un an après Urbain Gohier. Le conseiller d'Etat
Gobât admire les résultats, tout en remontant aux causes
secrètes et aux principes générateurs :
" Pays nouveau, dit-il, les Etats-Unis doivent leur incomparable
grandeur à l'émancipation morale et à la liberté
d'esprit.. C'est en répudiant deux tyrannies enracinées
en Europe, le militarisme et l'Eglise, que la nation américaine
a fondé sa grandeur. La piété, la religiosité,
animaient les colons ; ils avaient des temples et écoutaient
leurs prédicants. Mais tandis qu'en Europe la religion se développait
sous forme d'une institution d'Etat prétendant imposer des croyances
et des formes, dominer sur les individus et réglementer leurs
sentiments les plus intimes, en Amérique, on déduisait
de la religion cette unique conclusion, qu'elle doit rendre l'homme
meilleur par ses seuls efforts, sans nulle autorité imposée.
Ainsi l'Eglise, Etat dans l'Etat, plus forte même que l'Etat,
parce que celui-ci lui prêtait et lui prête encore le bras
séculier pour combattre ses propres institutions, ne peut s'établir
en Amérique. De cette manière fut sauvegardée la
liberté des esprits.
" Selon la Constitution des Etats-Unis, le Congrès ne peut
faire aucune loi relative à l'établissement d'une religion
ou pour en prohiber une.
" C'est donc, et d'une manière très accentuée,
l'Etat sans Eglise et sans religion, celle-ci très respectée
néanmoins, mais considérée comme du domaine intime.
On ne rencontre nulle part autant de temples qu'aux Etats-Unis.....
" Mais la grande république américaine entre sur
l'arène du monde. Elle n'est point compromise par l'ambition
militaire ; la tradition nationale lui inspire pour la gloriole des
armes un superbe dédain ; nul antécédent fâcheux
n'altère la confiance qui peut lui être accordée
; elle est étrangère aux sanglants conflits préparés
par la politique européenne. Et le Président crie aux
empereurs qui laissent saigner leurs peuples sur le champ de bataille
: Arrêtez !
" 0 miracle ! cette voix est écoutée ! La paix est
faite, et l'univers entier glorifie les Etats-Unis d'avoir établi
dans le monde une puissance morale. " (Albert Gobât, Croquis
et Impressions d'Amérique. Berne 1904.)
IV.
- L'Apostasie
Un
grave danger menaçait les Etats-Unis comme il menace tôt
ou tard tous les peuples jeunes, simples et laborieux. Une loi naturelle,
humaine, les entraîne presque irrésistiblement dans un
cycle dont les termes sont les suivants : probité, richesse,
luxe, mollesse, décadence. Depuis un certain nombre d'années,
des symptômes inquiétants - intempérance, lucre
criminalité, divorce, - attiraient l'attention des observateurs.
Ces symptômes - comme tout, du reste, en Amérique - sont
allés en s'accentuant avec une rapidité vertigineuse.
Des événements politiques inattendus ont révélé
au monde un état d'esprit latent qui a éclaté soudain
avec violence. En moins de dix ans, le gouvernement et le peuple américain
ont oublié et foulé aux pieds leurs principes politiques
les plus sacrés en matière de guerre, de conquête,
d'intervention dans les affaires européennes. Mais laissons parler
un américain :
" Au commencement de 1900, un des ambassadeurs étrangers
à Washington faisait au cours d'une conversation cette remarque
: " Je n'ai été que peu de temps en Amérique,
mais j'y ai vu deux pays, - les Etats-Unis avant la guerre avec l'Espagne
et les Etats-Unis après la guerre avec l'Espagne, " Ce mot
exprime une vérité aujourd'hui reconnue : la guerre de
1898 est une époque dans l'histoire de la République américaine.
On l'explique d'ordinaire en disant que, depuis cette époque,
les Etats-Unis sont devenus une puissance mondiale...
" Les Américains firent plus que de chasser les Espagnols
de Cuba et de Porto-Rico. Ils montrèrent au monde qu'ils avaient
une excellente flotte moderne ; ils traversèrent le Pacifique
et s'établirent en Extrême-Orient ; enfin ils menacèrent
de venir attaquer l'Espagne jusque dans ses eaux. Il devenait, évident
que désormais il faudrait compter avec eux.... L'ancienne popularité
facile des Etats-Unis s'en alla, peut-être pour toujours...
" Le changement ne fut pas moins décisif dans la conscience
américaine. La guerre y éveilla un sentiment de force,
resté jusqu'alors latent. Elle suggéra aux Américains
tout ce que leur puissance leur permettait d'espérer, et les
assura qu'ils pourraient résoudre certains problèmes qui
n'avaient jamais encore attiré leur ambition. Maintenant ils
étaient prêts à se jeter dans la mêlée
générale...
" Le peuple américain fut rempli d'une joyeuse fierté....
La nation tout entière avait pris pour la première fois
conscience de sa force. On fut persuadé aux Etats-Unis que les
temps étaient venus où le pays devait cesser de mener
une vie isolée, qu'il était appelé à jouer
un rôle dans les grandes affaires de l'humanité, dût-il
en coûter le sacrifice de quelque ancien idéal. "
(A. G. Coolidge, Les Etals-Unis, puissance mondiale. Trad, de Robert
L. Cru. A. Colin, 1908.)
Ce revirement inattendu et cependant si naturel et si commun dans l'histoire
des peuples les meilleurs, n'avait point échappé au regard
prophétique, dont le pinceau a su réunir dans quelques
lignes d'une brièveté prodigieuse toute la carrière
de cette grande puissance :
" Je vis monter de la terre une autre bête, qui avait deux
cornes semblables à celles d'un agneau, ET QUI PARLAIT COMME
UN DRAGON", (littéralement : " et elle parlait comme
un dragon ").
Notons qu'il ne s'agit pas ici d'une contradiction dans le tableau ;
" la Bête qui monte de la terre " n'est pas une puissance
perfide ou hypocrite ; elle ne prétend pas posséder, elle
possède " deux cornes d'agneau " ; c'est là
son signalement, son caractère, sa gloire. Seulement, au moment
où elle apparaît dans le champ de la vision, ces principes
immortels sont en train de s'évanouir, et la phase héroïque
et admirable de son histoire est dans le passé. Des rugissements
de " dragon " trahissent une récente apostasie, et
c'est contre une phase d'intolérance que le prophète a
pour mission d'avertir le peuple de Dieu.
Dans un beau livre, déjà cité, sur les Etats-Unis
d'Amérique (A. Colin. Paris, 1913), M. D'Estournelles de Constant,
optimiste quand même, se refuse à croire à la possibilité
d'un conflit entre les Etats-Unis et le Japon, conflit considéré
par plusieurs comme inévitable. Il enregistre néanmoins
avec tristesse et malgré lui la constatation d'un revirement
lamentable au sein de la grande république :
" Le protectionnisme à outrance, dit-il, la guerre d'Espagne,
les colonies, les armements ont été les grandes étapes
d'une marche en sens inverse de la marche à l'Etoile... Le gouvernement
américain s'est trompé, et, comme tous les gouvernements,
au lieu de reconnaître à temps son erreur, il s'y est obstiné.
...Il a rougi de la mission bienfaisante qui lui incombait ;... il a
eu peur de n'être pas un Gouvernement comme tous les autres, un
Gouvernement aussi grand que les plus grands Gouvernements. Il a mis
sa fierté, un orgueil puéril, à copier les erreurs
qu'il avait charge d'éviter ; en d'autres termes, il est tombé
dans l'impérialisme. "
L'apostasie politique n'était que l'effet d'une cause abondamment
et douloureusement constatée : l'apostasie morale et religieuse.
Depuis une trentaine d'années et davantage, la multiplicité
des divorces et des suicides est venue révéler un état
moral inquiétant. Avant la guerre, les progrès du crime,
du banditisme, de la corruption des tribunaux et de la démoralisation
jetaient déjà l'alarme chez un grand nombre d'Américains.
Ce qui leur paraissait dangereux au-delà de toute expression,
c'était l'accumulation inouïe de la richesse ; et cette
accumulation a pris, depuis la guerre des proportions fabuleuses. Les
44 pour cent de l'or du monde entier seraient aujourd'hui entre les
mains du peuple américain, et la présence du milliardaire
(il y en avait 51 en 1909) est considérée par les hommes
qui réfléchissent comme un véritable cancer qui
sera fatal au pays.
Il nous reste à considérer un aspect important de notre
étude : les progrès de l'influence du Vatican et le sort
de la liberté religieuse aux Etats-Unis. Ces deux points font
le sujet principal de la prophétie de la "Bête aux
cornes d'agneau". Ce qui précède n'est qu'une entrée
en matière, n'est que la présentation des acteurs, l'identification
de l'inculpé. Deux puissances entrent ici en scène et
en lutte : la " Bête à deux cornes ", ou les
Etats-Unis, et la " Bête à dix cornes " ou la
Papauté. En d'autres termes : le dernier conflit entre les principes
de Rome et ceux de la Réformation, entre l'Eglise catholique
et le pur protestantisme. Ce sera le sujet de notre prochain article.
© 2003 - CERA