LE MONDE DIPLOMATIQUE | JUILLET 2001 | Pages 4 et
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Le 1er mai 2001, le président annonçait sa décision de procéder de façon
accélérée à la construction d'un système de défense antibalistique. Puis, le 8
mai, le secrétaire à la défense, M. Donald Rumsfeld, annonçait, sans le
chiffrer, un accroissement considérable de l'effort de défense américain dans le
domaine spatial. L'espace, affirmait-il, occuperait désormais une place
prioritaire dans la planification stratégique américaine. Cette initiative prend
tout son sens lorsque l'on relit les conclusions de la commission présidée par
M. Rumsfeld avant qu'il ne devienne ministre. Rendu public le 11 janvier
2001, le rapport Rumsfeld évoque la « vulnérabilité croissante des Etats-Unis » à un « Pearl Harbor » spatial et propose d'y remédier en « donnant au président l'option de déployer des armes dans
l'espace pour dissuader d'éventuelles menaces, et si nécessaire défendre les
intérêts américains contre des attaques ».
Sur le site du World Socialist Web
Site http://www.wsws.org/francais/index.shtml
Les États-Unis se préparaient à attaquer
l'Afghanistan bien avant le 11 septembre
Par Patrick Martin
Le 20 novembre 2001
Des
comptes-rendus internes publiés dans les médias britanniques, français et
indiens ont révélé que des hauts-fonctionnaires des États-Unis avaient déjà
menacé de guerre l'Afghanistan dès l'été 2001. Ces rapports comprenaient la
prédiction dès juillet que « si une action militaire est menée, elle devra avoir
lieu avant que les premières neiges ne tombent sur l'Afghanistan, soit à la
mi-octobre au plus tard ». L'administration Bush a commencé ses bombardements
contre ce pays misérable et pauvre le 7 octobre et les attaques au sol menées
par les forces spéciales des États-Unis ont commencé le 19 octobre.
Ce n'est
pas un hasard si ces révélations ont été publiées à l'étranger plutôt qu'aux
États-Unis. Les classes dirigeantes de ces pays ont en effet leurs propres
intérêts économiques et politiques à défendre, des intérêts qui ne coïncident
pas, et qui même s'opposent dans certains cas directement aux poussées de la
classe dirigeante américaine pour s'emparer du contrôle de l'Asie Centrale riche
en pétrole.
Les médias américains cachent systématiquement les véritables
intérêts économiques et stratégiques sous-jacents de la guerre en Afghanistan en
prétendant que cette guerre est survenue du jour au lendemain aussi puissamment
uniquement en réaction aux attentats terroristes du 11 septembre.
Les experts
des chaînes d'informations télévisées et des principaux quotidiens américains
qualifient la rapide défaite militaire du régime taliban de coup de chance
inattendu. Ils détournent ainsi l'attention du public de la conclusion que
n'importe quel observateur sérieux est contrait de tirer des événements des deux
premières semaines de novembre : la victoire rapide des forces soutenues par les
États-Unis démontre que la planification et les préparatifs minutieux effectués
par les militaires américains a dû commencé bien avant les attentats contre le
World Trade Center et le Pentagone.
Selon le mythe américain officiel, « tout
a changé » le jour où quatre avions de ligne ont été détournés et que près de 5
000 personnes ont été tuées. Ce faisant, l'intervention militaire des États-Unis
en Afghanistan aurait été improvisée à la hâte en moins d'un mois. Dans une
entrevue télévisée en date du 18 novembre, le sous-secrétaire à la Défense Paul
Wolfowitz a d'ailleurs déclaré que trois semaines seulement furent nécessaires
pour planifier cette boucherie militariste.
C'est là l'un des innombrables
mensonges émanant du Pentagone et de la Maison Blanche relativement à la guerre
en Afghanistan. La vérité est que l'intervention des États-Unis était planifiée
en détail et minutieusement préparée bien avant que les attentats terroristes ne
fournissent le prétexte recherché pour appliquer ce plan. Si les événements du
11 septembre n'étaient jamais arrivés, il est fort plausible que les États-Unis
auraient attaqués l'Afghanistan de toutes façons, et selon le même
échéancier.
L'Afghanistan et la lutte pour le pétrole
La classe dirigeante des États-Unis envisageait
de mener la guerre en Asie centrale depuis au moins une décennie. Dès 1991,
suivant la défaite de l'Iraq lors de la guerre du golfe Persique, le magazine
Newsweek publiait un article intitulé « Opération bouclier de la steppe ? »
dans lequel il rapportait que l'Armée américaine préparait une opération au
Kazakhstan modelée sur le déploiement de l'Opération Bouclier du désert survenue
en Arabie Saoudite, au Koweït et en Iraq.
Si la dissolution de l'Union
Soviétique survenue en 1991 a donné l'occasion à la puissance américaine de se
projeter en Asie centrale, la découverte de vastes réserves de pétrole et de gaz
a fourni l'incitatif. Le littoral de la mer Caspienne en Azerbaïdjan (Bakou) est
certes un centre de production pétrolière depuis un siècle, mais c'est seulement
depuis dix ans que de vastes réserves inconnues jusqu'alors ont été découvertes
au nord-ouest (Kazakhstan) et au sud-ouest (Turkménistan) de la mer.
Les
pétrolières américaines ont acquis les droits pour plus de 75 p. 100 de la
production de ces nouveaux champs pétroliers. Les hauts-fonctionnaires du
gouvernement américain ont présenté la région de la mer Caspienne et l'Asie
centrale comme une alternative possible à la dépendance pétrolière de cette
région instable qu'est le golfe Persique. Les troupes américaines sont arrivées
après la conclusion des contrats. Les forces spéciales des États-Unis ont
commencé des opérations conjointes avec le Kazakhstan dès 1997, puis avec
l'Ouzbékistan un an plus tard. Les exercices portaient sur des interventions
principalement dans la région montagneuse au sud comprenant le Kyrgyzstan, le
Tadjikistan et le nord de l'Afghanistan.
Le principal problème à surmonter
pour exploiter les richesses énergétiques de l'Asie centrale est de faire
parvenir le pétrole et le gaz de que l'on trouve dans cette région encaissée sur
le marché mondial. Les hauts-fonctionnaires des États-Unis se sont opposés à
l'utilisation du réseau d'oléoducs russe et à l'emprunt de la route terrestre la
plus facilement accessible (par l'Iran) pour aboutir au golfe Persique. De
concert avec les pétrolières américaines, ils ont préféré explorer depuis les
dix dernières années toute une série d'autres tracés d'oléoducs - vers l'ouest
au travers de l'Azerbaïdjan, de la Géorgie et de la Turquie jusqu'en
Méditerranée; vers l'est en passant par le Kazakhstan et la Chine jusqu'au
Pacifique, et, en ce qui a trait à la crise actuelle, vers le sud depuis le
Turkménistan en passant par l'ouest de l'Afghanistan et du Pakistan jusqu'à
l'océan Indien.
Ce projet d'oléoduc traversant l'Afghanistan est le favori
d'Unocal, une pétrolière américaine qui s'était engagée dans des négociations
intensives avec le régime taliban. Ces pourparlers se sont terminés en
catastrophe en 1998, lorsque les relations des États-Unis avec l'Afghanistan se
sont embrasées suite aux attentats contre les ambassades des États-Unis au Kenya
et en Tanzanie et pour lesquels Oussama ben Laden est tenu responsable. En août
1998, l'administration Clinton a lancé des attaques avec des missiles de
croisière contre les camps d'entraînement situés dans l'est de l'Afghanistan qui
appartiendraient en principe à ben Laden. Le gouvernement américain a demandé
depuis aux talibans de leur livrer ben Laden et imposé des sanctions
économiques. Les pourparlers à propos des oléoducs ont ainsi
piétinées.
Le renversement des talibans
Tout au long de 1999, les pressions des
États-Unis contre l'Afghanistan augmentèrent. Le 3 février, Karl E. Inderfurth,
assistant du secrétaire d'État, et Michael Sheehan, chef des opérations
anti-terroristes au secrétariat d'État, se sont envolés pour Islamabad, au
Pakistan, afin de rencontrer le sous-ministre des Affaires étrangères taliban,
Abdul Jalil. Lors de cette rencontre, ils l'informèrent que les États-Unis
tiendraient pour responsable le gouvernement de l'Afghanistan pour tout acte
terroriste posé par ben Laden.
Selon un article du Washington Post
(édition du 3 octobre 2001), l'administration Clinton et le premier ministre du
Pakistan d'alors, Nawaz Sharif, s'entendirent pour mener une opération secrète
conjointe pour assassiner Oussama ben Laden en 1999. Les États-Unis assureraient
la collecte de renseignements par satellite, le soutien aérien et le financement
de l'opération, alors que le Pakistan fournirait des agents parlant pashtoune
qui pénétreraient au sud de l'Afghanistan et se chargeraient de
l'assassinat.
Toujours selon le Post, le commando
pakistanais avait été formé et était prêt à frapper en octobre 1999. Le
quotidien rapporte les propos d'un ancien fonctionnaire : « l'entreprise était
en cours ». Les aides de Clinton étaient ravis à l'idée de réussir leur
assassinat, l'un d'entre eux allant même jusqu'à déclarer « on se serait crû à
Noël ».
L'attaque fut avortée le 12 octobre 1999 lorsque Sharif fut renversé
lors du coup militaire mené par le général Pervez Musharraf, qui stoppa
l'opération clandestine proposée. L'administration Clinton dut se contenter de
présenter une résolution au Conseil de sécurité des Nations-Unies demandant que
les talibans livrent ben Laden « aux autorités appropriées », sans mentionner
spécifiquement les États-Unis.
McFarlane et Abdul Haq
La subversion des États-Unis contre les talibans
continua en 2000, selon le compte-rendu écrit par nul autre que Robert
McFarlane, l'ancien conseiller en matière de sécurité de l'administration
Reagan, et publié le 2 novembre par le Wall Street Journal. Les services de McFarlane furent retenus par deux
riches spéculateurs immobiliers de Chicago, Joseph et James Ritchie, pour les
aider à recruter et à organiser un mouvement de guérilla anti-taliban parmi les
réfugiés afghans du Pakistan. Leur principal contact afghan était Abdul Haq,
l'ancien leader moujahidines qui a été exécuté par les talibans le mois dernier
suite à une tentative infructueuse de déclencher une révolte dans sa province
natale.
McFarlane rencontra Abdul Haq et d'autres anciens moujahidines à
l'automne et à l'hiver 2000. Après l'arrivée au pouvoir de l'administration
Bush, McFarlane profita de ses contacts républicains en une série de rencontres
avec les hauts-fonctionnaires du Département d'État, du Pentagone et même de la
Maison Blanche. Tous encouragèrent la préparation d'une campagne militaire
contre les talibans.
À l'été, bien avant que les États-Unis ne lancent leurs
frappes aériennes contre les talibans, James Ritchie alla au Tadjikistan avec
Abdul Haq et Peter Tomsen, ancien envoyé spécial des États-Unis auprès de
l'opposition afghane à l'époque de la première administration Bush. Là ils
rencontrèrent Ahmed Shah Massoud, le leader de l'Alliance du nord, avec pour
objectif de coordonner les attaques lancées du Pakistan avec la seule force
militaire pouvant encore résister aux talibans.
Selon McFarlane, Abdul Haq «
décida à la mi-août d'aller de l'avant et de lancer les opérations en
Afghanistan. Il retourna à Peshawar, au Pakistan, pour mettre la main aux
derniers préparatifs ». Autrement dit, cette phase de la guerre contre les
talibans était déjà engagée bien avant le 11 septembre.
Les médias américains
ont présenté les Ritchie comme des individus agissant seuls, motivés par les
liens émotifs qu'ils entretiennent à l'égard de l'Afghanistan, un pays dans
lequel ils ont vécu brièvement lorsque leur père y travaillait à titre
d'ingénieur civil dans les années 1950. Mais au moins un article fait un lien
avec les discussions relatives aux oléoducs et les talibans. En 1998, James
Ritchie visita l'Afghanistan pour discuter en effet avec les talibans d'un plan
pour commanditer des petites entreprises dans le pays. Il était accompagné par
un représentant de Delta Oil d'Arabie saoudite, qui, en partenariat avec une
entreprise argentine, voulait construire un gazoduc qui aurait traverser
l'Afghanistan.
La guerre secrète de la CIA
Les révélations de McFarlane surviennent en même
temps que fait rage une diatribe acerbe contre la CIA accusée d'avoir « trahi »
Abdul Haq en n'appuyant plus ses opérations en Afghanistan et en l'abandonnant à
sa mort aux mains des talibans. La CIA considérait évidemment McFarlane et Abdul
Haq comme peu fiables. Elle poursuit sa propre guerre secrète dans la même
région, la partie sud de l'Afghanistan, où la population parle principalement
pashtoune.
Selon un article publié en première page du Washington Post
du 18 novembre, la CIA effectuerait des opérations paramilitaires dans le sud de
l'Afghanistan depuis 1997. L'article est signé par Bob Woodward, le célèbre
journaliste du Post qui doit sa notoriété à l'affaire du Watergate. Woodward
sert fréquemment de relais pour les fuites des hauts-responsables militaires et
du renseignement.
Woodward donne des détails sur le rôle de la CIA dans le
conflit actuel, notamment sur le déploiement d'une unité secrète paramilitaire
appelée la Special Activities Division. Cette force a participé aux combats dès
le 27 septembre en se déployant au sol et en utilisant des drônes de
surveillance Predator munis de missiles pouvant être lancés à distance.
Selon
Woodward, la Special Activities Division est formée « d'équipes comptant environ
une demi-douzaine d'hommes qui ne portent pas d'uniformes militaires.
L'organisme compte environ 150 combattants, pilotes et spécialistes,
principalement des vétérans aguerris qui ont quitté les forces armées
américaines.
« Au cours des 18 derniers mois, la CIA a travaillé avec les
tribus et les seigneurs de la guerre au sud de l'Afghanistan, et des unités de
la Special Activities Division ont contribué à créer un vaste nouveau réseau
dans le bastion des talibans ».
Cela signifie que l'agence d'espionnage des
États-Unis est engagée dans des attaques contre le régime afghan, ce qui dans
d'autres circonstances serait qualifié de terrorisme par le gouvernement
américain, depuis le printemps 2000, soit depuis plus d'un an avant les
détournements suicidaires qui ont détruit le World Trade Center et endommagé le
Pentagone.
Les plans de guerre prennent forme
Avec l'arrivée de George Bush à la Maison
Blanche, le point central de la politique américaine en Afghanistan est passé
des incursions limitées pour tuer ou capturer ben Laden aux préparatifs d'une
intervention militaire beaucoup plus robuste contre l'ensemble du régime
taliban.
Le magazine britannique Jane's International Security rapportait le 15 mars 2001 que la nouvelle
administration américaine travaillait avec l'Inde, l'Iran et la Russie « dans un
front concerté contre le régime taliban en Afghanistan » L'Inde fournissait du
matériel militaire, des conseillers et des techniciens pour les hélicoptères de
l'Alliance du nord, en plus d'utiliser conjointement avec la Russie des bases au
Tadjikistan et en Ouzbékistan pour mener des opérations.
Le magazine poursuit
: « plusieurs réunions récentes entre les groupes de travail indo-américain et
indo-russe sur le terrorisme nouvellement institués ont mené à cet effort pour
contrer tactiquement et logistiquement les talibans. Les sources de
renseignement à Delhi ont déclaré que pendant que l'Inde, la Russie et l'Iran
mènent la campagne anti-taliban au sol, Washington fournit le soutien logistique
et les renseignements à l'Alliance du nord ».
Le 23 mai, la Maison Blanche
annonçait la nomination de Zalmay Khalilzad au poste d'assistant spécial du
président et directeur en chef pour les questions du Golfe, de l'Asie du sud-est
et régionales au Conseil de sécurité national. Khalilzad est un ancien
responsable sous les administrations Reagan et Bush père. Après avoir quitté le
gouvernement, il est allé travailler pour Unocal.
Le 26 juin dernier, le
magazine IndiaReacts rapportait plus en détails les efforts conjoints des
États-Unis, de l'Inde, de la Russie et de l'Iran contre le régime taliban : «
l'Inde et l'Iran vont "faciliter" les plans des États-Unis et de la Russie pour
une "action militaire limitée" contre les talibans si les nouvelles sanctions
économiques sévères envisagées ne font pas céder le régime fondamentaliste de
l'Afghanistan ».
À cette étape des préparatifs militaires, les États-Unis et
la Russie devaient fournir une assistance militaire directe à l'Alliance du
nord, depuis l'Ouzbékistan et le Tadjikistan, afin de repousser les lignes des
talibans vers la ville de Mazar-e-Sharif -un scénario ressemblant étrangement
aux événements des deux dernières semaines. Un troisième pays non nommé a
approvisionné l'Alliance du nord avec des lance-roquettes antichar qui ont déjà
été employés contre les talibans au début de juin.
Toujours selon le
magazine, « les diplomates soutiennent que l'alliance contre les talibans a été
créée suite à la rencontre entre le secrétaire d'État des États-Unis Colin
Powell et le ministre des Affaires étrangères russe Igor Ivanov, suivie de celle
de Powell avec le ministre des Affaires étrangères indien Jaswant Singh à
Washington. La Russie, l'Iran et l'Inde ont également mené une série de
discussions et d'autres activités diplomatiques sont à prévoir
».
Contrairement à la campagne actuelle, le plan d'origine impliquait
l'utilisation de forces militaires de l'Ouzbékistan et du Tadjikistan, ainsi que
de la Russie. IndiaReacts soutient qu'au début de juin le président russe Vladimir
Poutine a déclaré lors d'une rencontre de la Communauté des États Indépendants,
organisme réunissant plusieurs des anciens républiques soviétiques, que des
actions militaires contre les talibans étaient en vue. L'une des conséquences du
11 septembre a été de créer les conditions permettant aux États-Unis
d'intervenir directement, sans participation directe des forces militaires des
États ayant succédé à l'Union Soviétique, et ainsi de s'arroger d'un droit
indiscutable de dicter la forme que prendra toute entente en
Afghanistan.
Les menaces de guerre des États-Unis avant le 11 septembre
Immédiatement suite aux attaques terroristes
contre le World Trade Center et le Pentagone, deux mentions étaient faites dans
les médias britanniques démontrant que le gouvernement américain avait menacé
d'entreprendre des sanctions militaires contre l'Afghanistan plusieurs mois
avant le 11 septembre.
Le correspondant de la BBC George Arney rapporta en
effet le 18 septembre que des hauts-fonctionnaires américains avaient fait part,
dès la mi-juillet, à l'ancien secrétaire aux Affaires étrangères du Pakistan,
Niaz Naik, de plans pour mener des actions militaires contre le régime taliban
:
« M. Naik a déclaré que de hauts-fonctionnaires des États-Unis lui ont fait
part d'un plan lors de la rencontre d'un groupe de discussion international
commandité par l'ONU sur l'Afghanistan qui s'est tenue à Berlin.
« M. Naik a
déclaré à la BBC que lors de cette rencontre, les représentants américains lui
ont dit que si Ben Laden n'était pas livré rapidement aux États-Unis, ces
derniers entreprendraient des actions militaires pour le tuer ou le capturer, de
même que le leader taliban, le mollah Omar.
« L'objectif plus vaste, selon M.
Naik, était de renverser le régime taliban et d'installer un gouvernement de
transition constitué d'Afghans modérés à la place -possiblement dirigé par
l'ancien roi afghan Zahir Shah.
« M. Naik a appris que Washington lancerait
son opération depuis des bases au Tadjikistan, ou des conseillers militaires
américains étaient déjà en poste.
« Il a également été informé que
l'Ouzbékistan participerait également aux opérations, et que 17 000 soldats
russes seraient gardés en réserve.
« M. Naik s'est fait également révélé que
si l'action militaire était entreprise, elle se déroulerait avant les premières
neiges en Afghanistan, soit à la mi-octobre au plus tard ».
Quatre jours plus
tard, le 22 septembre, le Guardian
confirmait ces propos. Les avertissements adressés à l'Afghanistan le furent
lors d'une rencontre de quatre jours réunissant de hauts-responsables des
États-Unis, de la Russie, de l'Iran et du Pakistan dans un hôtel de Berlin à la
mi-juillet, la troisième d'une série de conférences baptisées « remue-méninges
sur l'Afghanistan ».
Parmi les participants il y avait Naik, ainsi que trois
généraux pakistanais, l'ancien ambassadeur iranien aux Nations-Unies Saeed Rajai
Khorassani, Abdullah Abdullah, le ministre des Affaires étrangères de l'Alliance
du nord, Nikolai Kozyrev, l'ancien envoyé spécial russe en Afghanistan et divers
autres hauts-fonctionnaires russes, ainsi que trois Américains : Tom Simons,
l'ancien ambassadeur des États-Unis au Pakistan, Karl Inderfurth, l'ancien
assistant au secrétaire d'État pour les affaires sud-asiatiques, et Lee Coldren,
l'ex-directeur du bureau des affaires du Pakistan, de l'Afghanistan et du
Bangladesh du Département d'État jusqu'en 1997.
La réunion fut organisée par
Francesc Vendrell, alors et toujours représentant adjoint de l'ONU pour
l'Afghanistan. Le but de la conférence à l'origine était de discuter de la
conclusion possible d'un accord politique en Afghanistan, mais les talibans
refusèrent d'y participer. Les représentants américains annoncèrent alors le
changement de la politique des États-Unis à l'endroit de l'Afghanistan qui, avec
le départ de Clinton et l'arrivée de Bush, suggérait fortement qu'une action
militaire était envisageable.
Bien que les trois anciens hauts-fonctionnaires
américains ont nié avoir fait des menaces spécifiques, Coldren a néanmoins
déclaré au Guardian « qu'il y a eu des discussions à propos du fait que les
États-Unis étaient tellement dégoûtés des talibans qu'ils étaient prêts à
envisager de mener des actions militaires contre eux ». Naik a également affirmé
que l'un des Américains présents aurait déclaré qu'une action contre Ben Laden
était imminente : « ce coup-ci, ils étaient très certains de leur coup. Ils
disposaient de tous les renseignements voulus et disaient qu'ils ne le
rateraient pas à nouveau. Il s'agirait d'une frappe aérienne, possiblement
effectuée avec des hélicoptères d'attaque, directement en Afghanistan et à
proximité immédiate ».
Le Guardian
concluait : « selon de hautes sources diplomatiques, le régime des talibans
s'est vu informé hier par l'entremise du gouvernement pakistanais que s'il ne
livrait pas Oussama ben Laden, des opérations militaires seraient lancées en
Afghanistan. Les talibans refusèrent de s'incliner mais la gravité des menaces
soulève la possibilité que ben Laden, loin d'avoir lancé les attaques contre le
World Trade Center à New York et le Pentagone sans raison apparente il y a 10
jours, aurait lancé une frappe préventive en réponse à ce qu'il considérait
comme des menaces des États-Unis ».
Bush, le pétrole et les talibans
D'autres révélations relatives aux contacts
secrets entretenus entre l'administration Bush et le régime taliban sont
révélées dans un livre publié le 15 novembre dernier en France et
intitulé Ben Laden la vérité
interdite. L'ouvrage a été écrit par
Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié. Brisard est un ancien agent des
services secrets français, auteur d'un rapport sur Ben Laden et le réseau
Al-Qaïda, et ancien directeur stratégique pour l'entreprise française Vivendi,
alors que Dasquié est un journaliste d'investigation.
Selon les deux auteurs
français, l'administration Bush était prête à accepter le régime des talibans,
malgré leurs accusations selon lesquelles ces derniers commanditaient le
terrorisme, en autant qu'ils coopéraient avec les plans pour développer les
ressources pétrolières de l'Asie centrale.
Jusqu'en août, écrivent les
auteurs, le gouvernement américain voyait dans les talibans « une source de
stabilité en Asie centrale qui permettrait la construction d'un oléoduc à
travers l'Asie centrale ». Ce n'est que lorsque les talibans ont refusé
d'accepter les conditions des États-Unis que « le raisonnement de la sécurité
énergétique s'est transformé en sécurité militaire».
Corroborant cela, il
faut noter le fait curieux que tant les administrations Clinton que Bush n'ont
jamais mis l'Afghanistan sur la liste officielle du Département d'État des États
accusés de commanditer le terrorisme, malgré la présence connue d'Oussama ben
Laden dans le pays en tant qu'invité du régime taliban. Une telle désignation
aurait en effet rendu impossible toute signature d'un accord pour les
entreprises pétrolières ou de construction américaines avec Kaboul pour un
réseau d'oléoducs permettant de transporter le pétrole et le gaz de l'Asie
centrale.
Les pourparlers entre l'administration Bush et les talibans ont
commencé en février 2001, peu de temps après l'inauguration de Bush. Un
émissaire taliban arriva à Washington en mars chargé de présents pour le nouveau
chef exécutif, dont un coûteux tapis afghan. Mais les pourparlers furent loin
d'être cordiaux. Brisard déclara « à un moment donné, pendant les négociations,
les représentants des États-Unis ont déclaré au représentant taliban : où bien
vous acceptez notre offre d'un tapis d'or, ou bien nous vous enterrerons sous un
tapis de bombes ».
Aussi longtemps que la possibilité d'un accord pour la
construction d'un oléoduc semblait possible, la Maison Blanche laissa traîner
les enquêtes sur les activités d'Oussama ben Laden, écrivent Brisard et Dasquié.
Ils rapportent également que John O'Neill, sous-directeur du FBI, a démissionné
en juillet pour protester contre cette obstruction. O'Neill a déclaré lors d'une
entrevue avec les auteurs que « les principaux obstacles à surmonter pour
enquêter sur le terrorisme islamiste étaient les intérêts des entreprises
pétrolières des États-Unis et le rôle qu'y occupe l'Arabie saoudite ». Par une
étrange coïncidence, O'Neill accepta le poste de chef de la sécurité au World
Trade Center après avoir quitté le FBI et y trouva la mort le 11
septembre.
Confirmant le compte rendu de Naiz Naik à propos de la réunion
secrète de Berlin, les deux auteurs français ajoutent qu'il y eut une discussion
ouverte sur la nécessité pour les talibans de faciliter la construction d'un
oléoduc partant du Kazakhstan pour assurer la reconnaissance de leur pouvoir par
les États-Unis et le monde. Les pourparlers de plus en plus acrimonieux entre
les États-Unis et les talibans cessèrent dans la discorde le 2 août, après une
dernière rencontre entre l'envoyée des États-Unis Christina Rocca et un
représentant taliban à Islamabad. Deux mois plus tard, les États-Unis
bombardaient Kaboul.
Politiques de provocation
Ce compte-rendu des préparatifs de guerre contre
l'Afghanistan nous amène au 11 septembre même. Les attaques terroristes qui ont
détruit le World Trade Center et endommagé le Pentagone sont certes des liens
importants dans la chaîne des événements qui ont entraîné les États-Unis à
attaquer l'Afghanistan. Mais le gouvernement américain a planifié la guerre bien
à l'avance. Le choc du 11 septembre n'a que contribué à la rendre politiquement
faisable en stupéfiant l'opinion publique au pays et en donnant à Washington un
coup de main essentiel pour convaincre ses alliés réticents à
l'étranger.
Tant le public américain que les gouvernements étrangers ont été
pressés d'appuyer les actions militaires contre l'Afghanistan au nom de la lutte
contre le terrorisme. L'administration Bush a frappé Kaboul sans même présenter
la moindre preuve que ben Laden ou le régime taliban étaient responsables des
atrocités survenues au World Trade Center. Elle a vu dans les événements du 11
septembre l'occasion de mettre de l'avant ses ambitions depuis longtemps
nourries de renforcer la présence américaine en Asie centrale.
Il n'y a pas
de raison de penser que le 11 septembre ne fut rien de plus qu'une coïncidence
fortuite. Tous les détails de la guerre contre l'Afghanistan avaient en effet
été préparés avec soins. Il est peu vraisemblable que le gouvernement américain
allait laisser passer l'occasion de s'embarrasser de fournir un prétexte viable
pour ses actions militaires.
Immédiatement après le 11 septembre, des
rapports de presse apparurent -encore une fois surtout en dehors des États-Unis-
selon lesquels les agences de renseignement américaines avaient reçues des
avertissements spécifiques à propos d'attaques terroristes de grande envergure,
comprenant notamment l'utilisation d'avions détournés. Il est bien possible que
la décision a été prise aux plus hauts niveaux de l'État américain de laisser
survenir une attaque, possiblement sans imaginer clairement l'ampleur des
dommages qu'elle causerait, afin de fournir l'étincelle nécessaire pour
déclencher la guerre en Afghanistan.
Comment autrement expliquer des faits
aussi bien établis que la décision des hauts-dirigeants du FBI de bloquer
l'enquête menée contre Zaccarias Massaoui, l'immigrant franco-marocain soupçonné
après qu'il ait supposément cherché à suivre des cours de pilotage dans une
école de pilotage aux États-Unis pour piloter un avion de ligne commercial mais
sans prendre de cours pour apprendre à décoller et atterrir ?
La succursale
du FBI à Minneapolis a procédé à l'arrestation de Massaoui au début d'août et a
demandé au quartier-général du FBI l'autorisation de mener une enquête en
profondeur et de vérifier notamment le contenu du disque dur de son ordinateur.
Les hauts responsables du FBI ont refusé en affirmant qu'il y avait pas assez de
preuves d'intentions criminelles de la part de Massaoui - une décision étonnante
pour une agence qui est loin d'être connue pour sa délicatesse en ce qui a trait
au respect des libertés civiles.
Tout cela ne veut pas dire que le gouvernement américain a planifié délibérément
tous les détails des attaques terroristes ou anticipé que près de 5 000 personnes
seraient tuées. Mais l'explication la moins plausible du 11 septembre est bien
la version officielle : que des douzaines de fondamentalistes islamistes, dont
plusieurs avec des liens connus avec Oussama ben Laden, ont pu mener une vaste
conspiration sur trois continents ciblant les symboles les plus proéminents
de la puissance américaine, sans même que les agences de renseignement des États-Unis
aient eu la moindre idée de ce qui se préparait.